Imprimer

La Chine, nouveau champion mondial du climat

par Paul Hockenos pour defenddemocracy.press, le 22 novembre 2025

Les signaux venus de la COP30 n’inspirent guère l’optimisme, mais l’essor fulgurant des énergies renouvelables en Chine démontre qu’une stratégie climatique ambitieuse peut aussi relever du bon sens économique.

À Belém, au Brésil, un certain enthousiasme entoure les négociations de la COP30, mais il ne tient guère à la conférence elle-même. Depuis la première édition, en 1992, qui avait jeté les bases du tout premier traité international contre le réchauffement climatique, les sommets onusiens ont été progressivement envahis par les lobbies des énergies fossiles, tandis que plusieurs grandes puissances industrielles n’en tiennent plus vraiment compte. Cette année, les États-Unis ont choisi de boycotter l’événement, et les décisions attendues ne devraient pas infléchir de manière significative les émissions mondiales.

L’espoir perceptible à Belém vient plutôt d’un constat désormais largement partagé, résumé dans un rapport très diffusé du groupe de réflexion Ember : la Chine distance à grande vitesse les États-Unis et l’Union européenne dans le domaine des technologies et industries d’énergie propre. Le pays installe désormais plus de capacités renouvelables – solaire et éolienne – que le reste du monde réuni. Résultat : ses émissions de CO₂ sont restées stables l’an dernier et devraient reculer cette année, alors que les émissions mondiales ont atteint des sommets.

Ce succès ne découle ni des sommets internationaux ni d’injonctions morales, mais d’un calcul pragmatique. L’énergie solaire et éolienne est devenue la moins coûteuse au monde, et les technologies propres produites à grande échelle deviennent accessibles partout.

« La Chine a compris que l’ensemble du système devait être repensé », résume Muyi Yang, analyste chez Ember. « Elle s’est affranchie du modèle de développement fondé sur les énergies fossiles, même si son économie traverse elle aussi des défis importants. Mais elle voit émerger un nouveau type de croissance, basé sur la stabilité environnementale. »

Au cours de la dernière décennie, la Chine a réduit ses émissions à l’intérieur de ses frontières tout en exportant massivement ses technologies propres, ce qui a permis à d’autres pays d’accélérer leur transition, souligne le Centre for Research on Energy and Clean Air (CRECA), un autre institut d’expertise basé à Helsinki. Les performances actuelles de Pékin dépassent plusieurs de ses propres objectifs et s’apprêtent à reléguer l’Union européenne – longtemps première de la classe en matière climatique – au second plan. Son atout : un ensemble d’incitations et de politiques publiques qui rappelle celles mises en place dans les années 2000 par l’Allemagne et plusieurs pays européens, alors pionniers de l’innovation et du développement des énergies renouvelables.

« Si la lutte contre le réchauffement climatique paraît aujourd’hui plus gagnable que jamais, c’est grâce à la Chine », estime Jonas Waack du quotidien allemand Tageszeitung. « Le moteur de la décarbonation mondiale se trouve désormais à Pékin, non pas parce que de plus en plus de gouvernements veulent protéger le climat, mais parce qu’il n’existe plus de voie plus sûre vers la prospérité. »

La production solaire chinoise a été multipliée par quatorze en dix ans et domine désormais largement le marché mondial. Le pays installe chaque semaine l’équivalent éolien et solaire de cinq grandes centrales nucléaires. En 2024, il a ajouté à son réseau quatre fois plus de capacité solaire que l’Union européenne, et six fois plus d’éolien. La Chine a même dépassé de six ans son objectif fixé pour 2030 en atteignant en 2024 un gigantesque parc de 1 200 GW de capacités éoliennes et solaires. Elle a également surpassé plusieurs autres prévisions, notamment en matière de gestion durable des forêts. D’ici 2030, les énergies non fossiles devraient représenter 25 % de sa consommation totale — un niveau bien supérieur à celui des États-Unis, en recul, mais encore derrière l’Union européenne, qui a déjà franchi ce seuil.

Le pays reste toutefois très dépendant des énergies fossiles — il est le premier consommateur mondial de charbon — mais la demande chinoise en essence, diesel et carburant aérien s’est stabilisée l’an dernier.Elle était même 2,5 % inférieure à son niveau de 2021, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’institution explique cette évolution par des « transformations structurelles » telles que l’électrification : environ 30 % de la consommation finale d’énergie en Chine est électrique, un taux bien supérieur à ceux des États-Unis et de l’Union européenne. Aujourd’hui, environ une voiture neuve sur deux vendue en Chine est électrique, une dynamique alimentée par un ensemble de mesures publiques allant des subventions aux programmes de reprise.

Enfin, la Chine s’impose aussi là où l’Europe espérait conserver sa suprématie : les technologies propres. Le pays fabrique 86 % des modules solaires produits dans le monde et contrôle pratiquement toute la chaîne d’approvisionnement pour certains composants essentiels.

Sur le marché des véhicules électriques, la domination chinoise n’est guère moins marquée : le pays contrôle environ les trois quarts du secteur, après avoir dépassé Tesla en 2023. Grâce à son importante réserve de terres rares — éléments clés du stockage par batteries — la Chine occupe également une position centrale dans ce domaine, tout comme dans les technologies de production d’hydrogène bas-carbone. Elle finance par ailleurs de vastes projets d’énergie propre dans plus de cinquante pays, contribuant ainsi à diffuser la transition énergétique à l’échelle mondiale.

Ces avancées sont d’autant plus significatives que la Chine demeure, et de loin, le premier émetteur de gaz à effet de serre. Depuis 2015, elle est à l’origine de 90 % de la hausse mondiale des émissions de CO₂. Aujourd’hui, elle représente 32 % des rejets planétaires, loin devant les États-Unis (13 %), l’Inde (8 %) et l’Union européenne (6 %).

Selon Belinda Schäpe, du CRECA, les motivations derrière le virage massif de la Chine vers les renouvelables sont multiples. Les considérations économiques sont déterminantes : le secteur des technologies propres représente déjà 10 % du PIB chinois, un chiffre qui pourrait doubler rapidement. Mais la sécurité énergétique intervient aussi. Le pays demeure un importateur majeur d’énergies fossiles — pétrole brut, charbon et gaz naturel — et la Russie figure parmi ses principaux fournisseurs. Schäpe souligne toutefois que les préoccupations environnementales ne relèvent pas uniquement de la communication : les vagues de chaleur, les inondations et la pollution atmosphérique chronique frappent durement les centres urbains chinois.

En dépit de son avance, la Chine pourrait davantage agir comme le « défenseur de la coopération internationale sur le climat » qu’elle prétend être. Pékin continue d’investir massivement dans le charbon. Sa demande pétrolière destinée à la pétrochimie (hors usages combustibles) augmente. Ses émissions dépassent plus du double de celles des États-Unis. Le pays n’a pas renoncé à un modèle économique centré sur la croissance. Quant à ses objectifs pour 2035 — une réduction de seulement 7 à 10 % par rapport au pic des émissions — ils sont jugés dérisoires, alors qu’une baisse d’environ 30 % serait nécessaire pour rester aligné sur les ambitions de l’accord de Paris. L’objectif chinois de neutralité carbone en 2060, enfin, reste peu ambitieux, loin derrière celui de l’Allemagne (2045), et insuffisant pour prévenir un dérèglement climatique majeur.

Pourtant, c’est bien la Chine qui entretient aujourd’hui l’élan mondial, au moment même où la protection du climat recule sur plusieurs fronts. Ses avancées et sa capacité à anticiper les mutations futures renvoient l’Europe et l’Amérique du Nord à leurs propres contradictions. Depuis plus de dix ans, les bénéfices multiples d’une transition énergétique ambitieuse ont été démontrés, analysés, testés par des experts à travers le monde. Le président Joe Biden l’a compris et a agi en conséquence, plaçant temporairement les États-Unis en tête du combat climatique. En Europe, nombre de responsables politiques connaissent eux aussi l’équation, mais ont été dépassés par la puissance des lobbies du fossile et du nucléaire, épaulés par les populismes de droite.

C’est un constat sévère pour des figures comme Angela Merkel ou Friedrich Merz, qui savent pertinemment qu’une transition énergétique d’envergure est à la fois indispensable et économiquement gagnante, mais n’osent pas l’affirmer publiquement. Au Parlement européen, les conservateurs allemands vont jusqu’à s’allier avec l’extrême droite pour détricoter le Pacte vert européen — au nom du libre marché.

La Chine n’est certes pas un modèle à suivre dans de nombreux domaines. Mais elle a manifestement analysé l’ensemble des connaissances et des retours d’expérience désormais disponibles, et conclu que la transformation de son économie lui offre davantage d’opportunités que de risques. L’Europe et les États-Unis, eux, ont laissé filer leur avance dans la refonte du système énergétique mondial. Un très mauvais présage pour l’avenir de la démocratie libérale.

URL de l'article en anglais: https://www.defenddemocracy.press/china-is-now-the-worlds-climate-champion/