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Biodiversité, une indispensable coopération avec la Chine

par Élisabeth Martens, biologiste spécialisée en médecine chinoise, rédactrice en chef de www.chine-ecologie.org, pour la revue « Dialogue Chine-France n°9 », le 18 août 2021

Début septembre 2020, les Nations unies ont publié une évaluation révélant qu'aucun des 20 objectifs mondiaux en matière de biodiversité fixés en 2010 n'avait été pleinement atteint. Pire, entre 1970 et 2016, 68% de la faune sauvage a disparu. Dans beaucoup de régions du monde, des espèces vivantes disparaissent à une cadence de 100 à 1000 fois supérieure à la normale. Peut-on inverser cette tendance ? Qu'attendent les pays-phares dans les énergies vertes, ceux de l'UE, les États-Unis, le Canada, la Chine, pour coopérer en vue de préserver nos milieux naturels ?

 

Le Sommet des Nations unies sur la biodiversité

Le premier Sommet des Nations unies sur la biodiversité s'est tenu virtuellement en septembre 2020. Il rassemblait 88 pays répartis sur les cinq continents auxquels s'est rajoutée l’Union européenne. Une des plus importantes études consacrées à la biodiversité jamais menée jusqu'ici leur a été présentée. Il s'agit du second Millennium Ecosystem Assessment (ou « Evaluation des écosystèmes à l'aube du millénaire »), une étude menée par 1360 chercheurs de différentes organisations internationales dont 5 départements des Nations unies (WHO, FAO, UNESCO, UNEP, UNDP), la Banque mondiale et l'Union internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN). Le verdict était clair : si la pollution et la disparition des habitats semblent être la cause première de l'extinction des espèces, en amont, c'est le réchauffement climatique qui est montré du doigt. C'est donc à lui qu'il faut s'attaquer en priorité pour sauver la biodiversité.

 

Les États-Unis furent les grands absents du Sommet de l'ONU. Quant au dirigeant chinois Xi Jinping, il a déclaré : « La Chine est prête à prendre des responsabilités internationales en proportion de son niveau de développement et à contribuer à la gouvernance environnementale mondiale. » 3 Le numéro Un chinois faisait allusion à la fracture entre pays développés et pays en développement, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) appelant les premiers à mettre à disposition plus de ressources financières à disposition des seconds, selon le principe de responsabilités communes, mais différenciées.

Le chef de l'ONU, António Guterres a exhorté les dirigeants du monde entier à mettre en place « des politiques et des objectifs plus ambitieux pour protéger  la nature et la biodiversité », en ajoutant que « la dégradation de la nature n'est pas une question purement environnementale, elle touche à l'économie, à la santé, à la justice sociale et aux droits de l'homme. »

Le président français Emmanuel Macron a déclaré que « 2021 doit être l'année de l'action », tandis que la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a réaffirmé son engagement en faveur du nouveau cadre mondial pour la biodiversité qui devra être examiné par les 196 parties lors de la COP 15 à Kunming en octobre 2021.

 

Le Pacte vert de l'Europe embrasse l'harmonie chinoise

« Le moment est venu pour les dirigeants mondiaux d'agir ensemble et l'UE est prête à montrer la voie. Le pacte vert pour l'Europe est notre vision d'avenir et notre feuille de route. Nous invitons toutes les parties à s'associer à cet effort collectif pour le changement, afin d'assurer une relance verte, et de protéger et de restaurer notre planète, qui est notre seule patrie », a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.

Présenté le 14 juillet 2021 par la Commission européenne à Bruxelles, le pacte vert place l’Europe à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique. Les 27 États membres de l’UE sont tous résolus à faire de l’UE le premier continent neutre pour le climat d’ici 2050. Pour y parvenir, ils se sont engagés à réduire, dès 2030, leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Avec ce programme ambitieux, l’Europe a fixé les grandes lignes d'une transformation économique et sociétale qui converge vers une « vie en harmonie avec la nature à l'horizon 2050 ».

Cet adage rejoint le discours de Xi Jinping qui à son arrivée à la présidence, en 2013, a fait de la « vie en harmonie avec la nature » l'objectif central du PCC. Dès 2005, Xi Jinping, qui était alors secrétaire du comité du Parti pour la province du Zhejiang, a formulé ce qui allait être la ligne de conduite de la Chine sous sa direction : « de l’eau bleue et des montagnes vertes ». C'est en ce sens que Xi Jinping a décrété vouloir atteindre la neutralité carbone d'ici 2060, et c'est aussi en ce sens que le Conseil des affaires de l’État chinois s’est engagé à soutenir une « Route de la soie verte ». Les projets s’inscrivant dans la « Belt and Road Initiative » (BRI) sont assortis de normes environnementales sévères.

 

La BRI rassemble 143 pays répartis sur les 5 continents, soit plus de deux tiers des pays dans le monde. Or les autorités chinoises ont pris des mesures pour favoriser la prise en compte des enjeux environnementaux. Une coalition d’acteurs (États, agence des Nations unies, institutions académiques et entreprises) – la BRI International Green Development Coalition – a été lancée en avril 2019 pour orienter les financements vers des investissements verts. 27 institutions financières dont la China Development Bank et la China Exim Bank, les deux principales banques publiques octroyant des financements dans le cadre de la BRI, ont signé pour des investissements verts.

Tant l’UE avec le « pacte vert » que la Chine avec la « BRI verte » se sont donné les moyens de créer une dynamique susceptible d’inciter les autres pays à rejoindre l’effort de préservation de la planète. Il est à espérer que leur collaboration scientifique et technique passera outre le « China bashing » qui fait rage actuellement dans nos médias et sur nos réseaux sociaux et qui ne fait qu'alimenter le risque qu'éclate une nouvelle guerre froide.

 

Les préoccupations écologiques de la Chine ne sont pas neuves

Déjà en 1973, lors de la première conférence sur l'environnement, le premier ministre Zhou Enlai avait alerté le gouvernement de Mao des dangers d'une industrialisation trop rapide. D'où une loi chinoise sur la protection de l'environnement promulguée en 1989 qui précise que les règles de protection sont applicables dans les domaines suivants : atmosphère, eaux, ressources minérales, forêts, pâturages, faune sauvage, plantes sauvages, vie aquatique, sites historiques, sites touristiques, sources chaudes, stations climatiques, zones de conservation de la nature, zones résidentielles, milieux naturels, ressources naturelles, milieux d'habitat. La Chine a alors adopté des politiques de conservation de la nature, dont l’établissement de réserves naturelles, d'aires protégées et de parcs nationaux.

 

Depuis, les textes se sont succédé afin de tenter de régler progressivement les problèmes environnementaux apparus au cours des réformes. En effet, sous l'ère de Deng Xiaoping, c'est l'éradication de l'extrême pauvreté qui était la priorité absolue. Le gouvernement s'est alors focalisé sur cet objectif et a conduit les populations chinoises vers une "aisance modeste", une "xiao kang", selon les termes utilisés par Deng lui-même. La lutte contre la pauvreté s’est révélée efficace, mais hélas, au prix de lourdes répercussions sur les écosystèmes.

En raison de son développement économique ultra-rapide, la Chine est devenu le pays le plus pollueur de la planète, ce qu'elle est encore maintenant, en valeur absolue. Dans les années 2000, une prise de conscience écologique s’est réopérée, d'abord centrée sur les enjeux de la pollution urbaine et des eaux contaminées, puis, dans les années 2010, sur la gestion des écosystèmes et la protection de la biodiversité.

 

Une collaboration scientifique avec les « pays développés »

L'objectif-climat de la Chine est à présent d'atteindre son pic d'émissions carbone en 2030 et la neutralité carbone en 2060. Cela exige de la Chine qu'elle passe du pic d'émission à la neutralité carbone en 30 ans, contre 60 ans pour la plupart des « pays développés ».

Il s'agit d'un objectif ambitieux qui concerne les nouvelles technologies vertes tant l'hydraulique que le solaire et l'éolien, la filtration des gaz à effet de serre issus des centrales électriques et autres, le nucléaire « propres », la protection des espèces en voie de disparition et le contrôle du commerce des espèces sauvages, les reboisements à grande échelle, des mesures agricoles ciblées, la restauration de l'écologie marine et fluviale, des villes-forêts et des villes-éponges, la mise en circulation des voitures à hydrogène, le recyclage des déchets , une éducation à l'écologie dès le plus jeune âge 24, etc.

Pour atteindre son but, la Chine n'a pas négligé l'aide internationale et a signé de nombreux projets de coopération dans le domaine des énergies vertes et de la protection des espèces menacées. Ils concernent plusieurs pays de l'UE, à commencer par le Danemark et l'Allemagne, puis la France, l'Angleterre, l'Italie, etc., mais aussi les États-Unis, le Canada, l'Australie. Des équipes de scientifiques chinois ont rejoint des ONG, des universitaires et des partenaires économiques européens et nord-américains pour relever ensemble les défis posés par les énergies renouvelables et le développement durable.

 

Ces échanges scientifiques et technologiques méritent d'être épinglés car ils représentent un réel espoir dans la lutte contre le réchauffement climatique qui intègre la lutte pour préserver la biodiversité. Le site www.chine-ecologie.org a été conçu spécialement pour informer les intéressés quant aux progrès fulgurants des technologies vertes en Chine et pour mettre en évidence les partenariats existants et potentiels entre la Chine et d'autres pays.

 

La « ligne rouge écologique » de la Chine

L'histoire de la Chine a démontré plus d'une fois que lorsque les dirigeants chinois se fixent un objectif, ils mettent tout en œuvre pour l'atteindre (exemple avec l'éradication de la pauvreté). Ils mobilisent la nation à tous les niveaux autour de politiques claires, de ressources concrètes, d'objectifs réalistes et d'une discipline rigoureuse. À cet égard, l'expérience de la Chine peut servir de ligne de conduite dans cette lutte qui devrait rassembler tous les peuples de la terre.

 

Aujourd'hui, les défis climatiques sont tels qu'au désir d'établir une « harmonie entre l’homme et la nature », la Chine prône aussi une « harmonie entre le développement économique et la protection de l’environnement ». Quand le président Xi déclare vouloir « progresser simultanément sur les fronts écologique et économique », des mesures claires soutenues par des financements précis sont prises en ce sens. Par exemple, en 2017, la Chine s’est munie d’un nouveau dispositif pour lutter contre la dégradation de son environnement. Elle l'a nommée la « ligne rouge écologique ». Il s'agit d'un indicateur de pollution qui vire au rouge dès que le développement économique s'emballe et menace l’environnement.

Chaque province a tracé sa « ligne rouge écologique » autour des zones dont la fonction écologique est essentielle en matière de conservation de la biodiversité, des sols, de l’écosystème et des ressources forestières, maritimes ou en eau. Sont également visées les zones « écologiquement fragiles », les vastes territoires subissant une forte érosion des sols ou une salinisation en raison de la désertification. Les plus grandes régions urbaines, comme la conurbation Pékin-Tianjin-Hebei et les régions de la ceinture économique du fleuve Yangzi ont tracé leurs propres lignes rouges.

« La Chine a pris ses distances avec l’obsession de l’expansion économique tous azimuts et a évolué vers un modèle plus durable qui fait primer la qualité sur la quantité », explique un haut dirigeant du PCC. Ce discours est désormais la norme de la part des autorités qui ont compris que si la Chine se mettait à hésiter dans ses objectifs climatiques, les coûts écologiques à long terme seraient écrasants, tant pour elle que pour le monde entier.

 

 

Éviter l'écueil du « productivisme »

Pour beaucoup d'observateurs, il devient de plus en plus évident que si la perte de biodiversité est due au réchauffement climatique, ce dernier est lui-même lié à ce qui peut être désigné sous le terme générique de « productivisme ». Dans un système économique où la productivité est l'objectif essentiel, les sonnettes d'alarme des climatologues et autres scientifiques ne peuvent pas être entendues et les exigences écologiques passent à la trappe.

« Tout le monde veut sauver la nature et sauver le climat. Mais lorsqu'il s'agit d'agir concrètement, ils (les gouvernements) échouent à chaque fois », a fait remarquer Greta Thunberg dans un tweet récent. Et pour cause, dans nos « pays développés », les limites du développement économique ne sont jamais définies puisque le moteur même du libéralisme est de ne poser aucune limite à la productivité. Dans un tel système, il est impossible de faire progresser la croissance économique tout en protégeant l'environnement. Le capitalisme vert, ou l'écologie en mode capitaliste, est un rêve absurde qui, comme toute illusion, freine la réalisation de nos projets.

Si aujourd'hui la Chine déclare vouloir faire « primer la qualité sur la quantité », elle détient les outils pour atteindre ce but. Elle a les fonds, elle a les partenariats, elle a l'idéologie. De plus, 90% de sa population soutient les décisions gouvernementales. Grâce à ces atouts, tant idéologiques que matériels, la voix de la Chine porte loin. Ses engagements pour la protection de la planète ont une portée universelle ou, en tous cas, son écosocialisme réaliste s'avère plus universel que la « supériorité morale » de l’écologisme euro-américain.

Durant le Sommet de septembre 2020, le chef de l'ONU, António Guterres a insisté sur le fait que l'humanité doit cesser de « faire la guerre à la nature » car « cela ouvre la voie aux maladies émergentes, telles que le coronavirus ». La reconstruction économique post-covid de la Chine tient compte des enjeux climatiques.

Son économie, parce qu'elle est socialiste, se permet de programmer une relance à long terme capable d'intégrer les énergies vertes et la protection de la biodiversité à un développement durable. Certes, il lui reste de nombreux défis à relever, par exemple en ce qui concerne les centrales au charbon qui restent une source d'énergie majeure. Mais la Chine peut d'ores et déjà revendiquer une position de leader mondial de la transition écologique.

 

 

Cela ne l'empêche nullement de maintenir une croissance économique – tant qu'elle est mesurée -, et de développer les technologies du numérique, tels que la 5G et la 6G, qui peuvent se montrer efficaces, voire indispensables, dans le déploiement des énergies renouvelables. Par contre, l'UE et les autres « pays développés » qui s'entêtent dans leur modèle de profit maximum en un temps minimum, risquent de rater le coche de la transition.

Nos pays asphyxiés par la loi du productivisme n'écoutent ni les scientifiques, ni les philosophes. Quand le philosophe marxiste Slavoj Zizek écrit qu'il est « plus facile d'imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme », seule la Chine le prend au sérieux. Or la transition écologique est un défi planétaire, elle est le souci de tous. C'est dire qu'il est urgent « d'imaginer la fin du capitalisme », sans quoi il ne vaudra plus la peine « d'imaginer la fin du monde ».

 

Agenda international sur la biodiversité

Heureusement, quelques rendez-vous en matière de biodiversité sont à l'agenda international.

Le premier est le Congrès mondial de la nature de l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) programmé du 2 au 11 septembre 2021 à Marseille. Les nouveaux objectifs issus de ce congrès devraient être adoptés lors de la COP15-CDB (COP15 de la Convention sur la diversité biologique) qui aura lieu du 11 au 24 octobre 2021, à Kunming, en Chine. Le cadre mondial pour la biodiversité de l'après-2020 doit être décidé lors de la COP-15. Ces deux rendez-vous imminents réunissent la France et la Chine dans un désir commun d'agir concrètement pour la planète.

 

Puis, du 31 octobre au 12 novembre 2021, la COP26 accueillie par le Royaume-Uni en partenariat avec l'Italie se tiendra à Glasgow. En 2022 devrait se tenir un sommet de mise en œuvre après les trois COP de Rio, un Forum politique de haut niveau des ODD (objectifs de développement durable) qui pourrait faire avancer une vision intégrative de la transition écologique à un niveau planétaire, et le UNEA-5 ou 50ème anniversaire de la Conférence des Nations unies sur l'environnement humain qui devrait se tenir à Stockholm et devrait créer une traction politique supplémentaire à l'échelle mondiale.

Un bilan mondial sur le climat, dans le cadre de l'Accord de Paris, est prévu en 2023. Il marquera une étape importante pour intégrer la biodiversité dans la responsabilité climatique mondiale en vue d'atteindre la neutralité carbone et les objectifs climatiques collectifs à long terme. Mais la question se pose à présent si l’humanité peut encore réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. La communauté scientifique se montre divisée sur le sujet.

D'après certains experts du Giec, la température mondiale atteindrait 1,5 ou 1,6°C autour de 2030, soit une décennie plus tôt qu’estimé il y a 3 trois ans. D’ici à 2050, le seuil de 1,5°C serait dépassé d’un dixième de degré dans le scénario le plus optimiste de réduction des gaz à effet de serre, mais de presque un degré dans le scénario du pire. 50 Reste un espoir : dans le meilleur des scénarios, la hausse de la température serait ramenée à +1,4°C d’ici à 2100. Gageons que, tous unis pour une cause commune, nous parviendrons à réaliser cet objectif et que la biodiversité de notre étonnante planète sera préservée !

 

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