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La biodiversité en perspective chinoise

Interview réalisée par Sarah O'Meara pour Nature, Vol 591, le 11 mars 2021

Depuis bientôt huit ans, la zoologiste britannique Alice Hughes travaille au Jardin botanique tropical de Xishuangbanna à Menglun, dans la province du Yunnan (sud de la Chine). Elle nous révèle ce que l'approche écologique et les moyens mis en œuvre pour protéger la biodiversité du pays lui ont appris.

 

Jardin botanique tropical de Xishuangbanna à Menglun
Jardin botanique tropical de Xishuangbanna à Menglun

Nature: Quelle est votre fonction actuelle ?

AH: Je dirige le groupe de recherche sur l'écologie du paysage dans un des jardins botaniques les plus diversifiés de la Chine. Mon équipe vise à mieux comprendre la vie des animaux et la façon dont ils interagissent avec leur environnement. Cela nous aide à créer des méthodes plus efficaces pour conserver un environnement riche en biodiversité. L'équipe, composée de 18 personnes, fait partie de l'Académie chinoise des sciences. Nous faisons tout pour découvrir où et pourquoi notre monde naturel change : de la cartographie de la biodiversité à la recherche sur le commerce légal et illégal de différentes espèces. Ensuite, nous développons des mesures concrètes pour aider à endiguer les pires effets de ces changements.

 

Nature: Comment en êtes-vous venue à travailler en Chine ? quelles sont les particularités de votre situation?

AH: En 2011, j'ai quitté le Royaume-Uni pour m'installer en Thaïlande dans le cadre de mes recherches postdoctorales. Ensuite je me suis rendue en Australie et finalement, j'ai accepté un poste en Chine en 2013. Au début, j'étais assez naïve quant à la différence de culture entre les pays asiatiques et la Chine. L'apprentissage a ressemblé à un parcours de boomerang. L'adaptabilité est importante quand on travaille à l'étranger. Je pense que beaucoup trop d'Occidentaux ont de la méfiance quant aux travaux des Chinois et aux actions des scientifiques chinois ou à ne voir que leurs erreurs.

Par conséquent, il y a une sensibilité dans la communauté scientifique chinoise, en particulier sur des sujets qui posent problème, comme la réglementation du commerce des espèces sauvages exotiques. En tant qu'hôte étranger, il est difficile de donner des conseils sans que cela soit perçu comme une critique. Mais à présent, je peux participer à ces discussions parce que je travaille ici depuis assez longtemps : les chercheurs et les employés savent que je vais écouter et donner mon point de vue basé sur des faits plutôt que sur des préjugés. Il est important pour tout écologiste et protecteur de l’environnement de garder l'esprit ouvert pour participer à résoudre le problème mondial de la perte de biodiversité, et de vouloir découvrir ce qui fonctionne, car dans n'importe quel pays et dans n'importe quelle culture, il y a des initiatives intéressantes et un désir de développer des solutions qui fonctionnent dans le contexte sociétal local.

 

Nature: Les scientifiques étrangers doivent-ils parler chinois pour travailler en Chine ?

AH: Nous avons environ 12 nationalités différentes dans mon équipe, les discussions se déroulent donc principalement en anglais, par défaut. Je travaille en étroite collaboration avec mes collègues chinois pour m'assurer que nos travaux de recherche soient correctement communiqués lorsqu'ils sont publiés en chinois. Lors de réunions avec des collègues chinois, un interprète me traduit les points pertinents, ou il traduit mes diapositives en chinois quand je les présente en anglais. Je fais traduire mes rapports et mes articles, grâce à un logiciel de traduction, nous pouvons nous débrouiller. Mais les malentendus apparaissent vite avec les traductions, c'est pourquoi nous faisons particulièrement attention à toutes les nuances linguistiques qui pourraient modifier le sens perçu.

 

Nature: Qu'est-ce qui vous semble particulier dans la recherche sur l'écologie en Chine ?

AH: Un écologiste chinois doit être ultra rapide dans l'action. Le délai pour soumettre une demande de subvention peut aller très vite. Souvent, vous avez moins de 24 heures pour répondre. En outre, la plupart des initiatives sont liées aux plans quinquennaux du gouvernement, nos priorités doivent donc refléter ces cycles quinquennaux. Au cours des deux dernières années, il y a eu un inventaire complet de toutes les aires protégées de Chine, marines et terrestres, afin de les cartographier et de baser les objectifs futurs sur ces inventaires. C'est vraiment un effort sans précédent. Il s'agissait de cartographier 400 zones marines et 13 600 zones protégées terrestres. Je n'ai pas entendu parler de quelque chose d'équivalent à cette échelle et à cette vitesse dans aucun autre pays. La chose la plus positive pour moi est que la science compte beaucoup ici. Par conséquent, le budget annuel pour la recherche scientifique est en augmentation, de plus, le gouvernement central est rapidement informé des résultats de notre recherche appliquée. La recherche en Chine devrait être un exemple pour les pays occidentaux.

 

la zoologiste britannique, Alice Hughes
la zoologiste britannique, Alice Hughes

 

rq: Cette interview a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté