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Querelle diplomatique entre l’Australie et la Chine à propos de la Grande barrière de corail en danger

par Élisabeth Martens, le 27 juillet 2021

Le dirigeant chinois qui préside la rencontre annuelle du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a défendu la décision de l’agence onusienne de classer « en danger » la Grande barrière de corail, alors que l’Australie soupçonne la Chine d’avoir influencé cette décision à des fins politiques. La Grande barrière de corail est prise dans les tirs croisés d’une querelle diplomatique entre l’Australie et la Chine.

 

L’ensemble corallien s’étend sur 2300 km de long. Il génère 4,8 milliards de dollars américains de revenus pour le secteur touristique australien. En décembre, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avait affirmé que le changement climatique était la plus grande menace pour ces coraux. La Grande barrière avait rejoint sa liste des sites classés “critiques”.

Les scientifiques ont montré que pour sauvegarder la Grande barrière, il est primordial de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C, or l’Australian Marine Conservation Society prévoit une hausse de 2,5 à 3°C, un niveau qui conduira inévitablement à la destruction de la Grande barrière et de tous les récifs coralliens du monde.

La Grande barrière a déjà connu trois épisodes de blanchissement en cinq ans. Depuis 1995, la moitié des coraux ont disparu en raison de la hausse de la température de l’eau. Le blanchissement est un phénomène de dépérissement qui se traduit par une décoloration. Il est provoqué par la hausse de la température de l’eau. Celle-ci entraîne l’expulsion des algues symbiotiques qui donnent au corail sa couleur vive. La Barrière a également été touchée par plusieurs cyclones. Enfin, elle est menacée par les ruissellements agricoles et par l’acanthaster pourpre, une étoile de mer dévoreuse de coraux.

Dès lors, le comité du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) qui se réunit à la fois virtuellement et dans la ville chinoise de Fuzhou pour les deux prochaines semaines projette d’inscrire la Grande Barrière sur la liste des sites “en danger” du patrimoine mondial. Cette année, la réunion du comité est présidée par le vice-ministre chinois de l’Éducation, Tian Xuejun.

 

Tian Xuejun, le vice-ministre de l’éducation qui est également directeur de la commission nationale chinoise pour l’Unesco, s’exprime dimanche à Fuzhou. Photographie : AP
Tian Xuejun, le vice-ministre de l’éducation qui est également directeur de la commission nationale chinoise pour l’Unesco, s’exprime dimanche à Fuzhou. Photographie : AP

 

La ministre australienne de l’Environnement, Sussan Ley, a déclaré que la décision de l'Unesco était erronée et motivée par la politique. Elle n’a pas mentionné la Chine par son nom, mais les médias ont rapporté que le gouvernement blâmait Pékin. Monsieur Tian a réagi en déclarant que « l’Australie, en tant qu’État membre du comité du patrimoine mondial, devrait … attacher de l’importance aux avis des organes consultatifs et s’acquitter sérieusement du devoir de protection du patrimoine mondial au lieu de porter des accusations sans fondement contre d’autres États ».

Le gouvernement australien s’est alors lancé dans une campagne de lobbying pour éviter la mention « en danger » touchant la Grande barrière. Pour ce faire, il s'est appuyé sur un récent rapport de l’Institut australien des sciences marines qui a révélé que 85% des récifs étudiés présentaient une augmentation de la couverture de corail dur et un impact minimal du blanchissement des coraux de l’année dernière. L’institut des sciences marines a examiné la santé de 127 des 3 000 récifs de la Grande Barrière de Corail entre août 2020 et avril 2021.

Cependant, le Dr Mike Emslie, qui dirige le programme de surveillance, a déclaré qu’une grande partie de l’augmentation de la couverture corallienne était due aux coraux Acropora. Il a précisé qu’ils étaient « à croissance rapide », mais qu'ils sont aussi « souvent les premiers à disparaître ». De plus, « ils sont sensibles aux cyclones, au blanchissement des coraux et sont la nourriture préférée des étoiles de mer à couronne d’épines. »

Le professeur Ove Hoegh-Guldberg, un expert du blanchissement des récifs et des coraux, a déclaré que le rapport de l'institut des sciences marines ne changeait rien aux dangers auxquels la Grande barrière était confrontée. « Se concentrer uniquement sur les coraux et la couverture corallienne peut être trompeur si vous voulez comprendre l’état de tout un écosystème », a-t-il déclaré.

Toutefois, l’Australie a annoncé qu'elle allait contester le projet de l’Unesco d’inscrire la Grande barrière de corail sur la liste des sites “en danger” du patrimoine mondial. En effet, des députés et des chefs d’entreprise ont exprimé leur inquiétude quant à cette mention « en danger » pour la Grande barrière qui pourrait affecter le tourisme et mettre en péril les moyens de subsistance des personnes qui travaillent sur le récif.

Pour le responsable des océans pour le WWF-Australie, Richard Leck, cela indique "clairement et sans équivoque que le gouvernement australien ne fait pas assez pour protéger notre plus grand atout naturel, en particulier contre le changement climatique

L’Unesco a tranché, un de ses hauts responsables a déclaré à la ministre australienne de l’Environnement, Sussan Ley, lors d’une réunion en face à face à Paris, que l’organisation avait suivi toutes les étapes nécessaires avant de recommander que le récif soit classé "en danger". Les projets à long terme pour l’Australie concernant la barrière - un réseau de 2500 coraux qui recouvre près de 350 000 kilomètres carrés - «nécessitent des engagements plus robustes et plus clairs, surtout en ce qui concerne une lutte urgente aux effets des changements climatiques», a ajouté le haut responsable de l'Unesco.

Ernesto Ottone Ramírez, directeur général adjoint pour la culture à l’Unesco, a déclaré qu’une liste en danger devrait être considérée comme un appel international et à l’action de tous les États membres. « C’est quelque chose qui devrait être considéré comme positif et non, comme ce que nous avons entendu de la part de certaines autorités d’autres pays, comme une punition... C’est ainsi que nous préservons notre patrimoine pour les générations futures."

Il est regrettable de constater que la Grande barrière de corail, un atout majeur de la conservation de la faune et de la flore marines, est prise dans les tirs croisés d’une querelle diplomatique entre l’Australie et la Chine. Les relations entre les deux pays se sont envenimées depuis quelques années. L’Australie a bloqué la technologie et les investissements chinois dans des infrastructures critiques, et la Chine a eu recours à des tarifs douaniers et à d’autres mesures pour réduire ses importations australiennes. Mais est-ce une raison suffisante pour que la ministre de l’environnement australienne s'en prenne immédiatement à Pékin?

Contrairement à la Chine qui prévoit une neutralité carbone d'ici 2060, l’Australie n’a pas fixé d’objectif de neutralité carbone. Le Premier ministre conservateur, Scott Morrison, a affirmé que le pays espérait atteindre la neutralité “dès que possible“, sans mettre en péril des emplois et des entreprises. L’Australie est un des plus gros importateurs de charbon et de gaz naturel au monde.

Pour contester le projet de l'Unesco de décréter la Grande barrière "en danger", l'Australie a reçu l'appui de l'Arabie saoudite. En effet, "Guardian Australia" a révélé la semaine dernière que l’Arabie saoudite, riche en pétrole, et Bahreïn coparrainaient des amendements qui soutiennent la position de l’Australie sur le récif. Ils demandent au comité du patrimoine mondial de repousser une décision sur une inscription « en péril » jusqu’en 2023 au moins.

Lors de la rencontre de Fuzhou, il est prévu que le comité de l’Unesco examine l’ajout de certains sites à la liste du patrimoine mondial, le retrait d’autres, ou encore l’ajout de certains à la catégorie « en danger ». Si c'est le cas pour la Grande barrière de corail, ce l'est aussi pour la ville de Venise. Il est consternant que cette examen ait incité le gouvernement italien d'interdire l'entrée du lagon aux navires de croisière, ceci à seule fin d'échapper à cette mention "en danger" et de risquer une perte sèche du nombre de touristes.

 

Sources :

https://www.fr24news.com/fr/a/2021/07/un-responsable-chinois-de-lunesco-defend-son-projet-de-classer-la-grande-barriere-de-corail-comme-en-danger-grande-barriere-de-corail.html

https://www.natura-sciences.com/environnement/grande-barriere-corail-danger-unesco.html

https://www.ledroit.com/actualites/monde/la-grande-barriere-de-corail-au-coeur-dune-querelle-diplomatique-52fb56687b91c60ecff017f6a9b63521