L’énergie de fusion et la préservation de la biodiversité, en attendant Kunming 2021
par Jean-Paul Yacine, le 2 octobre 2020
Le 25 septembre, le magazine Caixin a fait le point de la participation de la Chine au projet ITER, acronyme anglais de “International Thermonuclear Experimental Reactor“ après le lancement de l’opération d’assemblage du réacteur, le 28 juillet dernier, en présence du Président de la République. Le message du chef de l’État français avait un parfum de rêve. Malgré leurs dissensions, les grands pays de la planète travaillent ensemble pour donner à l’humanité une énergie non carbonée, inépuisable et sans déchets.
« Il vise », a dit Emmanuel Macron, « à étendre à toutes les zones du globe la possibilité de répondre à leurs besoins d’énergie, de relever le défi climatique et de préserver les ressources naturelles (…) » Redonnant à la filière nucléaire des lettres de noblesse qu’elle est en train de perdre, il a ajouté, « qu’avec la fusion, le nucléaire pouvait être, plus qu’il ne l’est déjà, une filière d’avenir. »
« ITER, qui en Latin, signifie “le chemin“, renoue avec l’esprit de découverte et d’ambition", a dit le Chef de l’État. Portant l’idée que, « grâce à la science, demain peut être meilleur qu’hier (…), le projet est précisément un acte de confiance dans l’avenir. »1 C’est peu dire que la conclusion du Président Macron a éveillé dans l’appareil chinois une résonance en prise directe avec le « rêve chinois » de Xi Jinping.
D’emblée, l’article de Caixin précise que si le projet international a pris du retard, la Chine a, quant à elle, toujours honoré ses engagements fournissant en temps et en heure les équipements dont elle avait la charge à hauteur de 9% des 18 Mds d’€ du coût total de la construction, dont 45% sont assurés par l’UE.
Mais, abandonnant le terrain de la technique, l’article glisse rapidement vers les rapports de force politiques, affirmant que les plus gros obstacles ne sont pas techniques, mais « l’anti-mondialisation » prônée par l’actuelle administration américaine. Du coup, Caixin affirme que la poursuite même du projet est en question.
Vient ensuite un long développement technique rappelant la différence entre la fission et la fusion dans la production de l’énergie nucléaire. Si les deux sont des réactions libérant de l’énergie essentiellement sous forme chaleur, la fusion fonctionne non par la fracture de noyaux lourds d’Uranium 235 ou de Plutonium 239 « cassés » par la projection de neutrons, mais par la réunion de 2 noyaux légers isotopes de l’hydrogène2, tels que le deutérium et le tritium, n’ayant, comme l’hydrogène qu’un seul proton, mais avec des nombres de neutrons différents.
La fusion provoquée des noyaux les stabilise en libérant une très grande quantité d’énergie, base du rayonnement des étoiles et du soleil que le projet ITER tente de reproduire après la phase de recherche des réacteurs Tokamaks3. Depuis plusieurs décennies, ces derniers explorent la possibilité de produire de l’électricité industrielle par la fusion opérée sous l’effet de températures de 150 millions de degrés Celsius.
La suite de l’article décrit les péripéties compliquées ayant conduit à l’accord de 2006. La description est assortie d’un plaidoyer expliquant les avantages et les qualités de la participation chinoise au projet, comme s’il le défendait contre des oppositions internes.
La dernière partie de l’article annonce clairement l’ambition de Pékin de préparer la construction de son propre réacteur de fusion nucléaire en Chine. L’annonce fait suite à l’historique des recherches chinoises sur la question, commencées, disent les auteurs, dans les années 50 – 60.
Au point que selon Caixin, la Chine se classerait - claire allusion au discours international de Pékin que Xi Jinping a encore répété à l’ONU -, au « premier rang des pays en développement » pour la mise en œuvre de cette technologie. »
Le rêve chinois rencontre celui ultime de l’énergie illimitée
Reprenant le slogan politique de la « spécificité » chinoise, le journal ajoute que, concernant la fusion, la conception des équipements, leur construction et l’expérience de la physique des plasmas, la recherche chinoise et ses applications avaient leurs « propres caractéristiques. » (...)
« Dans les années 1990, la Chine a commencé à développer des tokamaks de tailles diverses. A cet effet, elle a successivement construit les tokamaks supraconducteurs HT-7 et HL-2A. Dès 2006, elle a construit le “tokamak-EAST“ (pour Experimental Advanced Superconducting tokamak) non circulaire qui fut le premier tokamak entièrement supraconducteur au monde. »
« Avec le tokamak HL-2M », dit Laurent Sacco dans un article de Futura Sciences du 21 décembre 2019, « la Chine entend bien apporter sa nouvelle pierre au projet ITER en atteignant une température 200 millions de degrés. »
Laurent Sacco rappelle cependant que « le tomakak Fusion Test Reactor (TFTR) de l’Université de Princeton dans le New Jersey, avait déjà atteint une température de 510 millions de degrés en 1995, un record du monde qu’il détient toujours ».
Par ailleurs, en 2003, autre record, le tokamak français du CEA avait obtenu un plasma4 stable pendant six minutes et demie.
Mis au point et construit par l’Institut de Physique du Sud-ouest de Chengdu, partie de la China National Nuclear Corporation, le réacteur à fusion HL-2M, faisant suite au HL-2A, pour lequel la Chine a investi près d’un milliard de $, est l’un des trois tomakaks nationaux en activité en Chine.
Les deux autres sont le « tokamak-EAST » de l’Institut de sciences physiques de Hefei cité plus haut et le « J-TEXT » - Joint Texas Experimental tokamak – issu d’une coopération de recherche sino-américaine implantée dans l’Université des sciences et technologies de Huazhong (HUST) à Wuhan.
En 2017 la Chine avait débuté la conception technique du CFETR (China Fusion Engineering Testing Reactor) dont la puissance devrait atteindre 1 GW avec l’objectif, disent les Chinois, d’assurer la transition entre la phase ITER et le projet DEMO (Demonstration Power Plant).
Ce dernier vise à démontrer qu’il est possible de produire de l’électricité à la manière d’une centrale électrique traditionnelle, en utilisant l’énergie générée par des réactions de fusion nucléaire se produisant au cœur d’un plasma porté à haute température (plusieurs millions de degrés Celsius).
En attendant le « rêve » de l’énergie de fusion décarbonnée inépuisable dont la réalisation ne sera pas possible avant 2050, la Chine développe son parc de 48 centrales nucléaires en fonctionnement et se débat du mieux qu’elle peut dans ses contradictions, tiraillée entre ses promesses écologiques et ses très voraces besoins en énergie.
Pour Li Shuo (Greenpeace pour l’Asie de l’Est), les récentes performances chinoises n’ont pas été bonnes, avec toujours d’importants investissements dans le secteur des énergies fossiles.
En dépit des signes très encourageants de l’augmentation de la part des énergies propres dans le mix énergétique (chiffres de mars 2020 : Charbon 64%, renouvelables 28%, Nucléaire 5%, Gaz 3%), la politique énergétique chinoise, se présente, dit Li Shuo comme une « bête à deux têtes, chacune essayant de courir dans une direction opposée »
Le constat global du sommet de l’ONU sur la biodiversité réuni par le Secrétaire Général Antonio Guterres en marge de l’Assemblée Générale était pessimiste. Une des raisons est que le président Xi Jinping s’est montré moins affirmatif et moins allant que lors de son discours de l’assemblée générale.
Alors que la prochaine conférence sur la biodiversité est, après son report, désormais prévue à Kunming du 17 au 30 Mai 2021, le Président chinois n’a pas présenté la vaste perspective que certains attendaient pour corriger les destructions d’environnement et le recul de la biodiversité.
Le discours du n°1 préenregistré diffusé en vidéo-conférence s’est contenté de vagues paroles pour "promouvoir l’harmonie entre l’homme et la nature" et "entre le développement économique et la protection de l’environnement."
Alors que 20 promesses de biodiversité sur 44 arrêtées en 2010 à Aichi au Japon n’ont pas été tenues, tandis que 19 objectifs n’ont été que partiellement atteints, il manque 600 à 700 Mds de $ de financements. Seule l’Allemagne et quelques rares pays européens se sont engagés avec des promesses fermes de financement.
Les États-Unis n’avaient même pas envoyé un représentant et le 29 septembre, Bolsonaro au Brésil a révoqué la loi nationale sur la préservation de la mangrove.
« Si l’enthousiasme n’est plus au rendez-vous, et si on se contente de rhétorique, le sommet Kunming sera un échec », dit Li Shuo.
URL de l'article: https://www.questionchine.net/l-energie-de-fusion-et-la-preservation-de-la-biodiversite-en-attendant-kunming-2021
1 Une énergie inépuisable, non polluante, décarbonée et sûre ? C’est le projet ITER.
2 On appelle isotope d’un éléments chimique particulier les types d’atomes partageant le même nombre de protons (caractéristique de cet élément), mais ayant un nombre de neutrons différent. Autrement dit, si l’on considère deux nucléides (ensemble de neutrons et de protons) dont les nombres de protons sont Z et Z’, et les nombres de neutrons N et N’, ces nucléides sont dits isotopes si Z est égal à Z’ quand N est différent de N’.
3 Machine en forme d’anneau métallique inventée dans les années 50 – 60 par les physiciens russes Tamm et Sakharov, le Tokamak (du Russe « toroidal’naja kamera magnetnymi katushkami » - en Français « chambre toroïdale avec bobines magnétiques ») est aujourd’hui l’équipement d’expérience de fusion nucléaire jugé le plus prometteur. Le projet ITER est la tentative de reproduire à grande échelle la fusion réalisée au sein des Tokamaks
4 L’état plasma est un état de la matière différent de l’état solide, liquide ou gazeux, - exemples la foudre, les flammes - dont les propriétés chimiques diffèrent de celles des autres états. Il apparaît à températures élevées favorisant l’arrachement des électrons aux atomes qui forment une nébuleuse d’électrons très actif appelée « soupe » dans laquelle baignent aussi des ions chargés électriquement et des molécules neutres.