La Chine à la pointe de la transition verte

par Erik Solheim pour Dialogue France-Chine, le 2 août 2024

En mars, j’ai visité Wuwei (Gansu), et j’ai dû me pincer pour m’assurer que je ne rêvais pas. Des panneaux solaires s’étendaient à perte de vue, recouvrant le désert jusqu’à l’horizon. Il s’agit d’une ferme solaire construite par la China Three Gorges Corporation et le groupe Elion Resources de Mongolie intérieure. Elle produit également une grande quantité d’énergie éolienne.

 

 

 

Je suis peut-être naïf, mais je suis convaincu que c’est exactement ce que le monde recherche. Grâce à des investissements massifs dans les énergies renouvelables, leur prix a diminué et leur production a augmenté, permettant à la Chine d’atteindre son pic d’émissions de carbone bien avant l’échéance de 2030.

La visite de Janet Yellen, secrétaire au Trésor des États-Unis, à Beijing à peu près au même moment, m’a incité à penser différemment. Selon les États-Unis, le déploiement massif des technologies vertes par la Chine ne constitue pas un service rendu au monde, mais plutôt un problème. Mme Yellen estime que la Chine est en surcapacité dans les secteurs verts. Mais en quoi cela pourrait-il être un problème ?

Un parc éolien à Bozhou (Anhui), le 27 avril 2024
Un parc éolien à Bozhou (Anhui), le 27 avril 2024

La solution chinoise à la transition verte 

Je me souviens clairement qu’à la fin des négociations sur le climat à Copenhague en 2009, certains écologistes étaient désespérés, ne voyant pratiquement aucune issue. Certes, l’ancien président américain Barack Obama était présent avec le Premier ministre chinois de l’époque, Wen Jiabao, la chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre indien Manmohan Singh et le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, mais les résultats étaient décevants.

Ce que personne n’avait prévu à la sortie de Copenhague, c’était que le prix de l’énergie solaire chuterait de près de 80 % et celui de l’énergie éolienne en mer de près de 70 % au cours de la décennie suivante. C’est en grande partie, mais pas uniquement, grâce à la Chine. C’est ce dont nous rêvons tous, certains gouvernements, dont celui de Joe Biden, ont affirmé que nous avions besoin d’une transition verte dans la production et que cette transition devait être innovante, à grande échelle et bon marché.

L’affirmation selon laquelle la Chine est en « surcapacité » va à l’encontre du bon sens et de toutes les théories économiques depuis Adam Smith. Dans mon pays, la Norvège, les secteurs du pétrole et de la pêche connaissent une énorme « surcapacité ». Nous vendons beaucoup plus de pétrole que nous ne pouvons en consommer et nous pêchons beaucoup plus de cabillauds et de saumons que nous ne pouvons en manger. Cette « surcapacité » nous permet d’acheter des téléphones portables aux États-Unis, du vin en France et des voitures électriques en Chine.

Aucun pays dans l’histoire moderne n’a autant profité de la surcapacité que les États-Unis. Au milieu du XXe siècle, les États-Unis représentaient près de la moitié de l’économie mondiale. Presque tous les secteurs du pays étaient en surcapacité, ce qui a renforcé la puissance des États-Unis. Aujourd’hui, la Silicon Valley est en grande surcapacité en matière de produits numériques. Si elle produisait uniquement pour la Californie ou pour les États-Unis, personne n’aurait jamais entendu parler de cette petite vallée.

Aujourd’hui, la Chine domine presque tous les secteurs verts, représentant au moins 60 % de la production des énergies solaire, éolienne et hydroélectrique ainsi que des voitures électriques et des batteries. Elle est indispensable à la transition verte. Il est certes possible de passer au vert sans la Chine, mais cela serait beaucoup plus coûteux et donc beaucoup plus lent.

Un parc photovoltaïque en zone montagneuse dans le district de Songxi, à Nanping (Fujian)
Un parc photovoltaïque en zone montagneuse dans le district de Songxi, à Nanping (Fujian)

Dialoguer et coopérer dans la course vers le sommet 

Face à l’avance de la Chine, l’Occident devrait faire appel à l’innovation et à la concurrence verte. En effet, le protectionnisme est un « nivellement vers le bas » tandis que la concurrence verte est une « course vers le sommet ».

La Chine a invité Tesla à construire sa Gigafactory à Shanghai, afin de provoquer l’effet poisson-chat sur le marché chinois des véhicules électriques. Cela a stimulé de nombreux concurrents chinois plus petits à accélérer leur rythme. En conséquence, BYD, Geely, Xpeng, Nio et bien d’autres sont aujourd’hui des concurrents de poids. Des entreprises technologiques telles que Huawei et Xiaomi se joignent également à la course.

Les pays occidentaux devraient également inviter BYD, CATL, LONGi, Tongwei, Goldwind et Envision à investir en Europe et en Amérique. Cela pourrait inciter les entreprises occidentales à accélérer leur rythme.

L’année dernière, j’ai visité CATL à Ningde (Fujian), le fabricant leader mondial de batteries électriques, qui fournit des batteries à Tesla et à beaucoup d’autres entreprises. CATL ne tarissait pas d’éloges sur la société allemande BMW, qui l’avait aidée à décoller en étant un client exigeant et en partageant sa technologie et son expertise. De tels partenariats peuvent être reproduits, mais avec des entreprises chinoises en tête.

Il faut être deux pour danser le tango. L’Occident doit répondre de manière constructive à la concurrence de la Chine. Cette dernière peut également contribuer à ce processus par le dialogue et les partenariats.

Bien sûr, toutes les nations veulent créer des emplois sur leur propre territoire. Le Premier ministre indien Narendra Modi a lancé sa stratégie « Make in India ». Le président français Emmanuel Macron se préoccupe de l’emploi en France et le chancelier allemand Olaf Scholz de l’avenir de l’industrie automobile allemande. Il est peu probable que la Chine se contente d’exporter des produits verts. Les entreprises chinoises seront appelées à créer des emplois en Europe, en Amérique, en Afrique et en Asie. Il est encourageant de voir BYD investir au Brésil, CATL en Hongrie et LONGi au Vietnam. Nous avons besoin de beaucoup plus d’exemples de ce type.

La Chine devrait composer avec les entreprises qui se plaignent de concurrence déloyale sur son marché. Par exemple, il reste peu de fabricants étrangers d’équipements éoliens en Chine. Peut-être sont-ils incapables de rivaliser ? Dans tous les cas, un dialogue visant à garantir un accès équitable aux marchés pour tous pourrait convaincre les sceptiques.

En 2023, la Chine représentait 38 % des dépenses mondiales en matière de technologies propres, avec un investissement impressionnant de 676 milliards de dollars. L’année dernière, elle a investi 890 milliards de dollars dans les secteurs de l’énergie propre et a installé 300 GW de nouvelles capacités solaires et éoliennes. C’est dix fois la production hydroélectrique totale de la Norvège, qui fournit suffisamment d’électricité pour chauffer tous ses habitants en hiver, avec une capacité excédentaire pour toute demande supplémentaire.

La « surcapacité » de la Chine dans les secteurs verts devrait être admirée plutôt que critiquée. Cependant, un dialogue approfondi doit s’instaurer pour s’assurer que tous les pays en bénéficient.

*ERIK SOLHEIM est ancien directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement et président de l’Institut la Ceinture et la Route Vertes.

 

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