Barrages sur la Nujiang et sur le Lacang, conflits de voisinage
par Olga V. Alexeeva et Yann Roche, le 1 décembre 2014
Le développement hydroélectrique des fleuves internationaux du sud-est asiatique a peu de chances de déboucher sur une guerre de l’eau, tout au plus d’alimenter des tensions (McNally 2009). Toutefois, il traduit une caractéristique de la houille blanche chinoise, à savoir que sa principale zone où se développe la production (le sud-ouest, voir figure), est située loin des zones de consommation du littoral oriental. La structure du réseau est donc consacrée à ce transport et peu de l’énergie ainsi produite est consacrée au développement du sud-ouest. Cette tendance a été constatée par les dirigeants chinois, qui ont mis sur pied des mesures d’atténuation, mais le déséquilibre demeure flagrant et préoccupant.
Le déséquilibre entre le développement des régions ouest, généreuses en eau mais dont le PIB par habitant reste faible et les régions côtières à PIB élevé mais s'alimentant de l'eau venant de l'ouest provoque inévitablement des tensions. Les processus de prise de décision concernant les grands barrages en Chine sont souvent complexes et battent en brèche les idées reçues selon lesquelles un état monolithique prend toutes les décisions en matière de grands projets de développement. Selon les échelles, plusieurs acteurs interviennent (compagnies nationales, provinciales, réseaux régionaux, commissions régionales et sous-ministérielles, intervenants gouvernementaux de différents niveaux et de plus en plus, des groupes de citoyens), et viennent complexifier la donne1.
Le cas de la cascade de 13 barrages sur la rivière Nu (Salween) est un exemple des résistances auxquels le pouvoir central de la Chine a dû faire face. En effet, ce projet de 21 Gigawatts prévu dans le Yunnan occidental a été arrêté en 2004. Salué par les écologistes, ce coup d’arrêt semble en fait illustrer les tensions pouvant exister entre les autorités locales et Pékin, dans un contexte politique rendu flou par la conjonction de nouvelles réformes, de vieilles habitudes et une certaine ouverture2.
En se lançant dans ce type de méga-projet de barrages, que McNally qualifie de « complexe ensemble de processus sociaux, économiques et écologiques », la Chine ne diffère guère dans sa démarche d’autres pays en émergence. Toutefois, les réformes entamées depuis 1996 semblent plus viser la recherche d’une stabilité au niveau national que la recherche de solutions viables au plan local voire international3. Et c’est dans ce cadre qu’il est intéressant de considérer l’application des réformes dans le cas de fleuves internationaux, tels que la Nu (Salween) et le Lancang (Mékong).
Certes, les projets envisagés se situent dans la portion des fleuves située en Chine, mais avec d’évidentes répercussions sur les pays situés en aval. On se trouve donc en situation de tensions hydropolitiques, même si les situations sont en fait très différentes.
Dans le cas de la Nu, les développeurs chinois se sont attachés à renforcer les liens avec le régime militaire au pouvoir en Birmanie (allié de Pékin) et à l’impliquer dans des projets situés dans la partie birmane du fleuve. En l’absence d’organisation internationale formelle de régulation, ces arrangements, associés au déséquilibre de la relation d’alliance entre les deux pays, ont de bonnes chances d’aplanir toute difficulté4.
Dans le cas du Mékong, appelé Lancang dans sa partie chinoise, le projet vise une cascade de 8 barrages sur la portion sud du Lancang, avant la frontière laotienne. Cette succession d’ouvrages a pour objet la production hydro-électrique, l’irrigation, la navigabilité du fleuve et même le tourisme. Conçus pour tirer successivement le meilleur parti du potentiel hydro-électrique du fleuve, ils ont d’ores et déjà entraîné des déplacements de population et en ont modifié le débit5.
Les protestations des pays ripariens et des ONG internationales écologistes, encadrées par la présence de la Commission du Mékong, organisation internationale vouée à la gestion des eaux du fleuve, n’ont guère d’effet sur Pékin, qui y voit une simple question de souveraineté et qui balaie du revers de la main les accusations selon lesquelles les barrages déjà en place modifient le débit du Mékong. Les relations avec certains des pays concernés, notamment le Vietnam, sont déjà tendues et ce dossier ne fait rien pour les améliorer. Mais pas plus les pays concernés que la Commission du Mékong ne sont en mesure d’influer sur les décisions de la Chine, qui considère la question non seulement comme intérieure mais même régionale, relevant des autorités de la région du Yunnan.
1McNally A., Magee, D. Wolf. Aaron T., 2009, Hydropower and sustainability: Resilience and vulnerability in China’s powersheds, Journal of Environmental Management, 90, pp. 286–293.
2Magee D. & McDonald K. 2006. Beyond Three Gorges: Nu River Hydropower and energy decision politics in China. Asian Geographer, 25(1-2), pp. 39-60.
3McNally A., Magee, D. Wolf. Aaron T., 2009, Hydropower and sustainability: Resilience and vulnerability in China’s powersheds, Journal of Environmental Management, 90, pp. 286–293.
4McNally A., Magee, D. Wolf. Aaron T., 2009, Hydropower and sustainability: Resilience and vulnerability in China’s powersheds, Journal of Environmental Management, 90, pp. 286–293.
5Wang, P., Dong, S., Lassoie, J. P., 2014, The Large Dam Dilemma. An Exploration of the Impacts of Hydro Projects on People and the Environment in China. Springer, 99 p.
extrait de l'article: https://journals.openedition.org/vertigo/15540#ftn12