La marche déterminée de la Chine vers la civilisation écologique

par Andre Vltchek pour Investig’Action, le 22 mai 2018

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard

Il n’y a pas de temps pour de longues introductions. Le monde se dirige peut-être vers une nouvelle catastrophe. Si nous les humains ne parvenons pas à l’empêcher, elle pourrait devenir notre catastrophe ultime.

 

Au village des artistes au nord-est de Pékin
Au village des artistes au nord-est de Pékin

 

L’Occident fait rouler ses muscles, s’opposant à tous les pays qui se trouvent sur sa route vers la domination totale de la planète. Certains, dont la Syrie, sont attaqués directement et sans pitié. Et des centaines de milliers de gens meurent.

Cette catastrophe politique et potentiellement militaire est simultanément « complétée » par la ruine écologique. Les principales multinationales occidentales ont pillé le monde, faisant passer leurs profits avant les gens, et même avant la survie même de l’espèce humaine.

Le « politiquement correct » éteint le sentiment de l’urgence, et il y a beaucoup d’hypocrisie : tandis qu’en Occident et au Japon, les gens sont encouragés au recyclage, à éteindre la lumière dans les pièces vides et à ne pas gaspiller l’eau, dans d’autres lieux de notre planète, des îles, des pays et des continents entiers sont déconnectés par les grandes entreprises occidentales ou détruits par une exploitation minière débridée. Les gouvernements des « États clients » de l’Occident sont désespérément corrompus dans ce processus.

Les politiciens occidentaux ne voient absolument aucune urgence dans tout ce qui se passe dans le monde ou, plus précisément, ils sont payés pour ne pas la voir.

Sommes-nous confrontés à un scénario totalement désespéré ? Le monde est-il devenu fou ? Est-il prêt à être sacrifié pour le profit de quelques-uns ? Les gens vont-ils simplement rester passifs, à regarder simplement ce qui se passe autour d’eux, et à mourir alors que leur monde est littéralement en flammes ?

Il semblait bien, il y a quelques mois encore.

Puis une des plus anciennes cultures sur la terre, la Chine, s’est levée et a déclaré : « Non ! Il existe des manières différentes d’avancer. Nous pourrions tous bénéficier du progrès sans nous conduire en cannibales et sans détruire totalement notre planète. »

La Chine, dirigée par le président Xi, a accéléré la mise en œuvre du concept de « civilisation écologique », pour finalement l’ancrer dans la Constitution du pays.

John Cobb Jr., un homme qui a accompli un travail extraordinaire en Chine, travaillant infatigablement au concept de civilisation écologique tant en Chine qu’aux États-Unis, est depuis des années un de mes proches amis et camarades.

John Cobb Jr est un homme de 93 ans, inspiré par la philosophie d’Alfred North Whitehead (et beaucoup pensent qu’il est un des plus importants philosophes vivants), l’un des topologistes progressistes chrétiens les plus reconnus, qui se proclame « partisan de la révolution ». C’est une voix « alternative » courageuse et optimiste qui nous vient des États-Unis.

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois il y a plusieurs années en RPDC, dans un bus allant de Pyongyang à la zone démilitarisée, nous sommes devenus des amis proches, et nous travaillons actuellement ensemble sur un livre et un film.

Dans cette période difficile, extrêmement dangereuse mais aussi porteuse d’espoir pour notre planète, il est clair que la voix de John Cobb devrait être entendue par beaucoup.

 

 L’engagement croissant de la Chine en faveur de l’ « écociv »

Je me suis souvenu de notre rencontre à Claremont, lorsque John a exprimé ses craintes que la Chine et son gouvernement puissent aller « dans un sens ou dans l’autre » par rapport à la « civilisation écologique », et peut-être même à son encontre. Il y avait apparemment en Chine et au sein de sa direction des voix défendant l’approche de la « croissance économique pure ». Aujourd’hui, le Parlement chinois a inscrit l’objectif de la civilisation écologique dans la Constitution nationale.

J’ai voulu savoir ce que cela signifie pratiquement. Y a-t-il une raison de faire la fête ?

John a répondu par courriel :

« Il y a une quinzaine d’années, le Parti communiste chinois a inscrit le but d’une civilisation écologique dans sa Constitution. Bien que la formulation soit admirable, la motivation n’est pas difficile à comprendre. Le Parti répondait à la détresse de centaines de millions de Chinois qui aspiraient à un air pur et à un ciel bleu. Pour maintenir sa popularité, il devait assurer aux gens qu’il partageait leurs préoccupations. Tout le monde était d’accord pour dire que réduire la pollution était une bonne chose.

L’expression cependant signifiait davantage que seulement essayer de minimiser les dommages causés par une croissance économique rapide. Elle exprimait une compréhension que le monde naturel était constitué par des écologies plutôt que par une simple collection de choses individuelles. Elle indiquait clairement qu’il était souhaitable que l’activité humaine s’inscrive dans ce monde naturel au lieu de le remplacer.

Beaucoup de ceux qui soutenaient cet objectif, cependant, ne présumaient pas que cette annonce engageait la Chine à entreprendre des changements majeurs dans le présent. Beaucoup ont argumenté que la première tâche de la Chine était de se moderniser, voulant dire par là s’industrialiser, et de devenir une nation riche. Elle pourrait ensuite se payer le luxe de s’occuper de l’environnement. Peu de gens, sinon personne, ont pensé que cela signifiait que la Chine se détournerait de l’objectif de croissance économique pour poursuivre quelque chose de différent.

Les dirigeants chinois ont cependant reconnu que remettre à plus tard la tâche pour obtenir un ciel clair et un environnement sain ne fonctionnerait pas. Le pays devait travailler simultanément à la croissance économique et à un environnement naturel sain. Il a commencé par évaluer la réussite des gouvernements provinciaux sur la base de leurs réalisations dans ces deux domaines distincts. Les objectifs de croissance ont été fixés en deçà de ce qui serait possible, de manière à pouvoir les orienter dans des directions moins nocives pour l’environnement. Des expériences d’écovillages ont été encouragées.

Le discours sur l’évolution vers une civilisation écologique a également stimulé la réflexion sur la « civilisation » parallèlement au « marché ». Cela a été dans le sens des Chinois qui craignent que l’étroite préoccupation de la richesse à tout prix ne soit pas saine pour la société humaine. Le marxisme a toujours mis l’accent sur les questions économiques, mais il se préoccupait de faire passer la société de la compétition à la coopération. Il a toujours été soucieux de la distribution des richesses pour que les pauvres en bénéficient et que les travailleurs deviennent autonomes. L’idée de retrouver les valeurs chinoises traditionnelles a été de plus en plus admise.

La mesure dans laquelle la santé de l’environnement naturel et les objectifs culturels ont acquis le statut d’objectifs politiques a dérangé certains membres du parti. Pour eux, la richesse et la puissance de la Chine étaient cruciales. Impossible à un observateur de dire avec certitude si le gouvernement continuerait à poursuivre l’objectif de la civilisation écologique et dans quelle mesure. En effet, la direction change tous les cinq ans.

Cependant les changements lors du récent congrès du parti ont tendanciellement renforcé l’engagement pour une civilisation écologique. Le président Xi, qui a été au centre des mesures vers une telle civilisation, s’est vu accorder cinq années supplémentaires. Lui et d’autres ont reconduit cet objectif et entrepris des pas dans cette direction. Aujourd’hui il semble probable qu’au cours des cinq ans à venir, Xi ne soit pas un président passif attendant son remplacement, puisque la limitation à deux mandats a été supprimée.

Pour renforcer l’engagement chinois, le Parlement a inscrit l’objectif de la civilisation écologique dans la Constitution nationale. Comme le gouvernement central est dirigé légalement par le parti, cela peut sembler ne pas faire une grande différence pratique. Mais la façon dont cela s’est produit montre clairement que le pays dans son ensemble n’est pas mécontent. Le peuple chinois n’a pas l’impression que l’engagement du parti est oppressif ou insensé. Nous pouvons faire une grande confiance à la Chine qui, en tant que nation, s’est vraiment engagée et dont le peuple partage l’espoir de devenir une civilisation écologique. Prédire l’avenir n’est jamais sûr, mais au fur et à mesure que les choses évoluent, nous pouvons avoir confiance dans le fait que la Chine est engagée. Etant donné la probabilité qu’elle supplantera les États-Unis en tant que chef de file mondial, cela peut nous donner des raisons d’espérer. »

 

Le rôle de John Cobb en Chine

John Cobb est une personnalité connue en RPC. Ses idées ont un grand impact sur un groupe influent de dirigeants chinois. Mais comment lui-même résumerait-il son engagement dans le projet de « civilisation écologique » ? Quelle a été son influence personnelle sur ce qui se passe en Chine, dans ce domaine en particulier ?

« Pendant la plus grande partie de ma vie, la dernière chose à laquelle je m’attendais était de jouer un rôle en Chine. En tant que théologien protestant, tout espoir d’influence allait dans des directions tout à fait différentes. Bien que ma théologie soit foncièrement façonnée par la tradition prophétique de l’ancien judaïsme et que je sache que Marx a également été profondément informé de cette tradition, je ne m’attendais pas à ce que les communistes chinois reconnaissent cette filiation. Pourtant, en fin de compte, grâce à une succession remarquable de coups de chance, mon rôle en Chine a été la plus importante partie de ma vie. Je commencerai par décrire ma trajectoire, puis celle de la Chine, et ensuite leur croisement totalement « improbable ».

Dans mes études à l’université de Chicago à la fin des années 1940, rendues possibles par la loi sur les GI, j’ai été introduit auprès d’Alfred North Whitehead. Au fil des années, j’ai été de plus en plus impressionné par la manière dont sa « philosophie de l’organisme » répondait à mes questions et m’offrait la vision holistique dont j’avais besoin, l’exact contraire de la pensée mécaniste et matérialiste qui dominait l’enseignement et la culture américains.

À la fin des années 1960, j’ai pris conscience de ce que la culture moderne dominante menait le monde à l’autodestruction, et mon attachement à Whitehead, qui offrait une alternative beaucoup plus prometteuse, s’est confirmé et approfondi. Entre-temps, l’intérêt pour toute alternative au mécanisme s’affaiblissait dans les universités américaines. Avec David Griffin, j’ai saisi en 1973 une occasion de créer un centre destiné à maintenir vivante la pensée de Whitehead et à faire connaître sa pertinence par rapport aux crises de notre temps. Ce Center for Process Studies a financé des conférences, des cours et des publications montrant comment la pensée organique et processive de Whitehead offre un modèle plus prometteur dans de nombreux domaines. Les préoccupations écologiques ont joué un rôle important tout au long du processus. Bien que de nombreux scientifiques et professionnels aient travaillé avec nous, les universités ont renforcé leur engagement dans la vision moderne que nous tentions de dépasser. Nous nous sommes parfois désignés comme des post-modernes, mais lorsque ce terme a été largement répandu par la déconstruction intellectuelle de la modernité française, David Griffin a commencé à nous appeler « post-modernes constructifs ».

Dès le tout début du XXe siècle, des Chinois avisés ont vu que les puissances coloniales occidentales, avec le Japon, grignotaient la Chine et que la culture chinoise classique n’était pas en mesure de rivaliser avec l’Occident en matière de science, de technologie et de puissance militaire. Pour maintenir son indépendance, la Chine devait se moderniser. Elle a adopté la forme occidentale dominante de la modernité, le capitalisme bourgeois. La souffrance des pauvres en a conduit beaucoup à chercher une meilleure forme de modernité dans le marxisme et, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, les marxistes ont remplacé la démocratie bourgeoise par le Parti communiste.

Mao Zedong a fait un effort sérieux pour mettre fin à la société de classes en Chine par ce qu’on a appelé ensuite la « Révolution culturelle ». Elle a provoqué une opposition si forte dans la classe moyenne urbaine que cela s’est soldé par un échec douloureux, jamais répété. Lorsque le Parti communiste a renoncé à cet objectif marxiste, ce qui est resté, la direction par le parti et l’engagement dans une modernisation rapide comme voie vers la richesse nationale.

Les intellectuels chinois n’étaient pas à l’aise avec cet engagement total en faveur de la modernité à la lumière de sa déconstruction défendue par les intellectuels français. Certains ont suivi les Français en s’appelant eux-mêmes post-modernes, mais les post-modernes français donnaient peu d’indications par rapport au plus grand problème que rencontrait la Chine avec la modernisation – la pollution et la dégradation de l’environnement. Lorsque ces intellectuels chinois ont découvert qu’il existait une autre forme de « post-modernisme », qui faisait des propositions positives de changement et accordait une grande attention au monde naturel, beaucoup ont été intéressés. Un post-moderne chinois, Zhihe Wang, est venu à Claremont pour compléter ses études, et c’est sa direction qui a conduit au croisement des développements en Chine avec ma vie. Il a décidé qu’il pouvait être plus efficace en vivant aux États-Unis et en se rendant souvent en Chine. Sa femme, Meijun Fan, a quitté une chaire prestigieuse à Beijing pour travailler avec lui. Grâce à leur introduction efficace de la « pensée des processus » en Chine, trente-cinq universités ont créé des centres qui se concentrent sur la pertinence de la pensée de Whitehead par rapport à un large éventail de sujets, tels que l’éducation, la psychologie, la science et les valeurs, le système légal, et ainsi de suite.

Pendant ce temps, je suppose en partie pour soulager la détresse due à la pollution de l’air de nombreux citadins, le Parti communiste a inscrit dans sa Constitution l’objectif de devenir une « civilisation écologique ». En raison de la réputation des dirigeants chinois à Claremont, ils ont été encouragés à tenir des conférences sur ce thème ici, d’abord pour les étudiants chinois. Cela nous a donné, à moi et à d’autres post-modernes constructifs américains, l’occasion de participer à la définition de ce terme, au départ riche et suggestif, mais assez vague. Cela a probablement été notre principale contribution.

Il y a eu un changement très important dans la politique chinoise en raison de l’engagement à la « civilisation écologique ». Dans le cadre de son objectif de modernisation, la Chine projetait d’industrialiser son agriculture. Lors de nombreuses conférences ici, et d’autres en Chine, nous avons argumenté que la Chine ne pourrait pas construire une civilisation écologique sur une agriculture industrielle. Le Parti communiste a été convaincu de réorienter sa politique et de passer d’une dépopulation constante de la Chine rurale au développement des milliers de villages qui devaient être détruits. Les politiques ont changé et, pour la première fois en 2016, il y a eu plus de gens passant des villes à la campagne que de la campagne aux villes. Le développement des villages a été valorisé avec l’objectif de la civilisation écologique lors d’importantes réunions du Parti communistes. Et le Parlement chinois a inscrit l’objectif de civilisation écologique dans la Constitution nationale. Il semble probable que cet important changement dans la société chinoise va perdurer.

Évidemment, le changement était principalement dû au travail de nombreux Chinois. Mais les sévères critiques des Américains sur les conséquences de l’industrialisation de l’agriculture aux États-Unis ont joué un rôle. Là encore, ma voix n’était qu’une voix parmi beaucoup d’autres. En partie sans doute à cause de mon âge, on me donne beaucoup plus de crédit que je ne le mérite. Mais je suis très fier de la contribution que j’ai apportée à ce changement qui touche des centaines de millions de Chinois et qui donne un sens concret à la « civilisation écologique ».

 

Le pouvoir centralisé

La Chine, à bien des égards, est devenue le chef de file en matière d’écologie ainsi qu’en combinant la culture traditionnelle avec la modernité. Elle est déterminée à construire toute la civilisation autour de ses préoccupations écologiques et culturelles. Il semble qu’à l’avenir les « marchés » et les considérations financières joueront un rôle important, mais secondaire. Est-ce possible principalement en raison de la nature centralisée et communiste du système économique et politique chinois (y compris la planification centralisée) ?

« Je n’ai ni les études ni l’expérience qui me permettent de répondre à cette question. Mais j’ai des opinions, alors je vais les partager.

Il est clair qu’en Chine, c’est la direction du gouvernement central qui a fixé le cap, planifié et mis en œuvre ce qu’il avait prévu. Pour ceux d’entre nous qui croient que le monde a urgemment besoin d’évoluer vers une civilisation écologique, cela a bien marché. Avant les réunions de l’automne dernier, je ne savais toujours pas si tout dépendait d’un dirigeant particulier qui pourrait être remplacé. Le fait qu’il soit sorti des événements de l’automne avec un pouvoir accru était rassurant, notamment parce qu’il a exprimé fortement sa détermination à prendre des mesures pour répondre aux besoins de la civilisation en Chine et dans le monde.

Il y avait encore la possibilité que des représentants d’autres factions dans le Parti communiste, qui cherchaient à remplacer Xi, puissent le menacer de n’être qu’un « canard boiteux ». Comme l’impossibilité d’un troisième mandat avait été écartée, ce danger n’existait plus. Une période prolongée à la direction peut probablement faire que certaines politiques soient tellement identifiées au pays qu’elles continuent même si un successeur ne s’est pas personnellement engagé pour la civilisation écologique.

Tout cela pour dire que le pouvoir centralisé œuvre actuellement d’une manière remarquablement prometteuse sans équivalent avec d’autres pays dotés d’un pouvoir politique moins centralisé.

 Certains pays européens ont fait un pas considérable en direction d’une civilisation écologique, avant la Chine. Le fait qu’ils ne soient actuellement pas en tête relève peut-être de ce qu’ils sont plus loin sur la trajectoire nécessaire. Ils ont apporté les changements politiques souhaitables sans pouvoir centralisé.

Dans ces pays, la population dans son ensemble est bien informée et capable de prendre de sages décisions. Les gouvernements sont assez démocrates pour exprimer les souhaits de la population. Dans certains cas, l’engagement en faveur de pratiques durables et de la satisfaction des besoins de tous les citoyens relève tellement du « bon sens » aux yeux de la population qu’il n’est pas radicalement abandonné lors des changements de responsables. C’est impressionnant que lorsque Trump a retiré les États-Unis de l’Accord de Paris, on s’y soit très peu intéressé en Europe, même si les raisons du retrait s’y appliquent aussi. Apparemment, le monde des entreprises en Europe s’est adapté aux nouveaux besoins et aux attentes comme il ne l’a pas fait aux États-Unis.

Malgré tout, j’ai plus confiance dans l’endurance de la Chine, avec son contrôle centralisé, que dans les pays européens plus directement soumis à l’opinion publique. Jusqu’à présent, les pays européens ont été prospères. Le contrôle de la pollution n’a pas conduit au chômage ou à l’appauvrissement économique. Ainsi, le degré d’engagement en faveur des besoins écologiques n’a pas été sérieusement mis à l’épreuve.

En revanche, la nécessité d’accepter un grand nombre de réfugiés a suffi pour affaiblir le consensus sur un ensemble de problèmes. Il n’est pas difficile d’imaginer que les entreprises qui, jusqu’à aujourd’hui, ont coopéré à de bonnes politiques pourraient tirer avantage d’une opinion publique dissidente et rechercher le genre de changements que les États-Unis expérimentent actuellement. Ces entreprises contrôlent souvent les médias et peuvent donc formater l’opinion pour appuyer leurs objectifs.

Lorsque je compare la réussite de la Chine dans l’attention sérieuse qu’elle accorde au bien-être de son environnement naturel et de ses citoyens avec celui des pays européens, je parie sur la Chine ; parce que j’ai confiance qu’elle maintiendra un contrôle gouvernemental sur la finance et en général sur les entreprises. Si elle le fait, elle peut aussi contrôler les médias. Par conséquent elle a une chance de faire en sorte que les grandes entreprises financières et industrielles servent le bien national tel qu’il est perçu par les gens qui ne sont pas à leur service. Des gouvernements moins centralisés sont moins aptes à contrôler les sociétés financiers et d’autres dont les intérêts à court terme peuvent s’opposer au bien commun.

Évidemment, la concentration du pouvoir dans des pays comme la Chine ne garantit pas que le gouvernement continuera d’être au service du bien commun. Il y a un vieux problème en Occident : le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Je pense que le Parti communiste en Chine travaille avec acharnement à socialiser ses membres pour qu’ils résistent à la corruption. Je pense qu’il a largement réussi.

Mon héros, Jésus, a affirmé que personne ne peut servir à la fois Dieu et l’argent. Si nous comprenons que le désir de Dieu va vers le bien commun, nous pouvons traduire que personne ne peut servir à la fois l’argent et le bien commun. Je crois qu’en ce moment, le Parti communiste chinois réussit mieux que les Églises occidentales à cultiver un engagement en faveur du bien commun. C’est peut-être plus important que la question de la centralisation du pouvoir. »

 

Engagement en faveur du bien commun

J’ai écrit à John que lors de notre récente rencontre, il avait déclaré qu’une des raisons pour lesquelles la Chine avait réussi dans tant de domaines est due au fait qu’elle peut compter dans sa direction sur de nombreuses personnes vraiment préoccupées par le bien-être de leur pays. Cela coïncidait totalement avec ma propre expérience en RPC. Mais comment John voit-il l’Occident ? En quoi est-il différent ? Le leadership occidental est-il construit sur des principes fondamentalement autres ? Il a répondu immédiatement :

« Vers la fin de ma réponse sur le sujet précédent, j’ai déclaré que je croyais que le Parti communiste chinois réussissait mieux à susciter l’intérêt pour le bien-être de la Chine et de toute sa population que les Églises occidentales ne l’étaient dans l’engagement pour le bien commun. Pour de nombreux chrétiens, c’est surprenant. Les chrétiens ont eu tendance à croire que nous avons besoin de croire en Dieu pour fonder nos engagements éthiques.

Personne ne part de l’idée qu’une éthique théiste est le seul moyen de socialiser les gens par rapport à l’action. Les dirigeants terrestres ont souvent considéré leur volonté comme les fondements du droit et de l’éthique. L’engagement le plus profond devait s’adresser au dirigeant et donc accomplir les souhaits de ce dernier. Mais du point de vue chrétien, la véritable éthique doit transcender l’obéissance au pouvoir politique. La force ne crée pas le droit.

Le mode de vie peut aussi être déterminé par la culture tribale ou nationale. Cela se confond souvent avec l’obéissance au dirigeant, mais cela peut aussi entrer en conflit avec. Les interprètes de la culture peuvent être identifiés à des prêtres ou à des sages.

Les philosophes ont parfois tenté de fonder l’éthique de manière purement rationnelle. Kant a développé un « impératif catégorique ». On peut se demander si c’est indépendant d’une forme particulière de culture, mais beaucoup continuent à le penser. Il est certain qu’on peut le soutenir dans plus d’une culture.

Pour les théistes aucune de ces formes d’éthique vraiment valable. Pour certains, l’alternative est la croyance que le Créateur est aussi celui qui édicte la loi et récompense ceux qui obéissent par une vie après la mort, sinon ici et maintenant, et punit ceux qui désobéissent.

D’autres théistes rejettent ce légalisme et insistent sur le fait que nous devons notre être et tout ce qui est bon dans nos vies au Dieu créateur et rédempteur. Ce Dieu aime tous les hommes et cherche le bien de tous. Notre réponse reconnaissante est de servir ceux que Dieu aime, notamment, au moins tous les êtres humains et en particulier ceux dont les besoins sont les plus grands.

Pour de nombreux théistes, le bien et le mal sont tellement liés à Dieu que lorsqu’ils entendent que Marx était athée, ils présument qu’il n’avait aucune éthique. Donc, pour moi, dire que les disciples de Marx suscitent plus d’engagement que les théistes occidentaux en faveur du bien commun semble invraisemblable à certains et les choque. Ils pensent que s’il n’y a pas de Dieu à servir, on servira quelque chose d’inférieur à Dieu et par conséquent d’inférieur au « bien commun ». De nombreux théistes supposent que si on ne sert pas Dieu, on ne s’occupera probablement que de son propre bien. Cette hypothèse est à la base de la discipline universitaire de l’économie.

En fait, cependant, Marx a dérivé de Hegel le sens d’un mouvement dans l’Histoire, qui devrait être servi. C’est un mouvement qui œuvre en faveur d’une société sans classe dans laquelle les besoins de tous sont satisfaits. Travailler pour cette société est certainement une manière de servir le bien commun.

Je crois que ce sentiment de participer à un processus qui œuvre pour le bien est plus convaincant pour beaucoup de gens que servir ce qui a été plus conventionnellement appelé « Dieu ». Le pourcentage d’Occidentaux qui croient vraiment en un Dieu qui nous appelle à servir le bien commun est probablement inférieur au pourcentage des Chinois qui se comprennent comme travaillant avec la dialectique de l’histoire afin de dépasser la société de classe qui a abusé et opprimé tant de gens.

Ni le christianisme ni le marxisme n’ont une histoire de grandes réalisations morales. Tous deux doivent être honnêtes sur leurs échecs. Je ferai des commentaires sur le christianisme dans le monde moderne.

Deux développements occidentaux l’ont grandement affaibli. L’un est le développement de la science sur la base d’une métaphysique qui exclut systématiquement tout rôle divin possible. L’autre est le développement du capitalisme qui présume et célèbre l’intérêt individuel comme étant l’unique motivation qui contrôle tout. Même des fidèles pieux peuvent être influencés par ces deux développements. Parmi les facteurs qui déterminent actuellement les comportements, le théisme joue un petit rôle.

Chez les Américains, l’« exceptionnalisme » dans lequel le système scolaire socialise les jeunes joue un plus grand rôle. Cela peut conduire à des actes héroïques censés être au service de la nation, et même à une grande passion pour la préservation ou la restauration de la beauté naturelle dont la nation est dotée. Mais sa fonction principale est de persuader les Américains d’accepter beaucoup d’activités fondamentalement mauvaises de la part de leur pays en les assurant qu’à long terme, cela permettra à d’autres de partager les grands bénéfices de l’américanisme.

J’attribue au système éducatif l’inculcation de l’exceptionnalisme américain. Cependant, il renonce même à cette valeur. Son but est d’être « sans valeur », ce qui signifie pratiquement au service de l’argent. Toute la culture célèbre la valeur d’être riche. La théorie économique est l’idéologie nationale. Que les Américains deviennent de plus en plus nihilistes est le résultat naturel d’un système scolaire nihiliste.

Malheureusement, la Chine va trop loin dans la copie de cette école nihiliste. Mon point de vue est que l’engagement du gouvernement envers le marxisme n’a pas été autorisé à modeler le cursus académique, mais qu’il offre quelques valeurs importantes pour compléter le programme scolaire. Parallèlement à la culture générale, dans le Parti communiste, beaucoup de gens sont socialisés dans la pensée et les valeurs marxistes. C’est parce que Marx a plus d’influence en Chine que Jésus n’en a en Occident que les chances de la Chine de diriger le monde vers son salut sont meilleures que celles de l’Occident.

 

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