L’écologie, atout géopolitique de la Chine

par Christophe Nourrissier pour "La Revue internationale", le 26 octobre 2020

La Chine s’est engagée, le mois dernier, à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2060 – une décision qui donne une seconde vie à un accord de Paris sur le climat bien moribond, et qui creuse le fossé face au déni climatique des États-Unis. Retour sur cette décision aux conséquences tant environnementales que géopolitiques.

 

Le 22 septembre dernier, le président chinois Xi Jinping a pris le monde de court dans un discours à l’Assemblée générale de l’ONU : « Nous avons comme objectif de commencer à faire baisser les émissions de CO2 avant 2030, et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 ». Une nouvelle d’importance majeure pour le pays, mais aussi le Monde (la Chine est aujourd’hui le premier émetteur de CO2, avec 9,9 milliards de CO2 émis soit environ celles des États-Unis, de l’UE et de l’Inde réunis). Pour rappel, la neutralité carbone est un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine et leur retrait de l’atmosphère par les puits de carbone.

Il s’agit d’une prise de position forte, qui entre toutefois en contradiction avec les récents projets entrepris par Pékin. « La Chine envisage actuellement d’augmenter ses capacités de production des centrales au charbon à hauteur de 249,6 gigawatts [GW] ; 97,8 GW sont en construction et 151,8 GW en préparation. Une augmentation de 21 % par rapport à fin 2019 (205,9 GW) », d’après un rapport du Global Energy Monitor et du Centre for Research on Energy and Clean Air. « Les coûts de transition seront énormes. Pékin doit faire face à son propre lobby des combustibles fossiles. L’ensemble de la main-d’œuvre employée dans les combustibles fossiles en Allemagne représente moins de personnes que celle d’une seule province chinoise » notait ainsi l’historien de l’économie Adam Tooze.

Aussi, cette annonce a été « accueillie en Europe (…) avec la plus grande prudence, voire dans un certain silence » a relevé Pierre Charbonnier, professeur au CNRS. Pourtant, ce changement de stratégie parait tout ce qu’il y a de plus sérieux. Un recul sur cette question après une annonce tonitruante à l’ONU serait en effet une humiliation très peu probable pour un Parti communiste chinois (PCC) qui répugne à perdre la face – sa survie politique en dépend. En outre, un changement de modèle de production est un choix de la raison pour un pays gangrené par un pollution de l’eau, de l’atmosphère et de l’air intérieur parmi les plus graves du monde.

 

Un nouveau leadership dans la diplomatie climatique ?

A cela, il faut ajouter l’émergence d’une dynamique de restructuration à laquelle Pékin compte bien participer. « Cette annonce d’une importance capitale pour la Chine intervient à un moment où l’Union européenne intensifie également son action en faveur du climat, en visant un objectif plus ambitieux pour 2030 et la neutralité climatique d’ici 2050 », a pour sa part réagi Bill Hare, directeur général de Climate Analytics. « Si la Chine et l’UE – qui représentent ensemble 33 % des émissions mondiales de GES – soumettaient toutes deux officiellement ces nouvelles mesures à l’accord de Paris, cela créerait l’élan positif dont le monde – et le climat – ont tant besoin ».

Pour rappel, Pékin a déjà su s’engager à marche forcée dans le développement des énergies durables, et produit aujourd’hui la plupart des batteries ion-lithium, des panneaux solaires et des éoliennes dans le monde. Aussi, l’engagement chinois, s’il était respecté, ferait baisser la température mondiale de 0,2 à 0,3°C, estime le Climate action tracker. Un tête-à-queue magistral qui lui permettrait de prendre le leadership de la diplomatie climatique, mais aussi de s’imposer comme le nouveau garant du multilatéralisme à l’heure aux Washington est aux abonnés absents. « C’est un signal politique extrêmement positif pour relancer un multilatéralisme sur le climat, très affaibli ces dernières années », estime Lucile Dufour, responsable des négociations internationales au Réseau Action Climat.

 

Redistribuer les cartes

La Chine a bien compris que la pression économique européenne était sur le point de s’accentuer significativement – notamment avec une taxe carbone aux frontières. A cela il faut ajouter les pressions récurrentes de Washington, qui n’a de cesse de demander à Bruxelles d’adopter une position plus musclée à l’égard de la Chine. Pour l’heure, l’UE s’est engagée assez tièdement sur la question des droits de l’homme (Hongkong, les Ouïghours) et dans une moindre mesure, sur Taïwan. Mais Pékin sait que le plus dur reste à venir, et ce d’autant que la crise du Covid-19 a plongé les pays occidentaux dans un profonde récession qu’ils ne manqueront pas de lui reprocher tôt ou tard.

Devant l’éventualité de plus en plus probable de victoire de Joe Biden, il est fort à parier que ce dernier cherchera à consolider les alliances fragilisées par l’isolationnisme tous azimuts de Donald Trump. Une main tendue est en effet bien plus efficace que le chantage pour convaincre les européens de rejoindre le camp américain. Aussi, Pékin cherche des points d’alignement avec l’UE afin de ne pas avoir à faire face à un front occidental uni.

Lorsque Trump a engagé une politique très hostile son égard, la Chine en comptait pratiquement plus de soutiens aux États-Unis. Historiquement, le lobby industriel américain était très favorable à la Chine – il s’y est considérablement enrichi. Mais depuis près de deux décennies, les doléances tant sur les violations de la propriété intellectuelle, l’espionnage industriel, l’accès asymétrique au marché chinois que sur les aides publiques aux grandes entreprises d’état se sont accumulées, et au moment de s’opposer à un bras entre Washington et Pékin, ces derniers ont été bien silencieux. Il est donc probable que le PCC, qui a appris de ses erreurs aux États-Unis, manœuvre afin d’éviter que l’histoire se répète en Europe – aujourd’hui encore la première puissance commerciale au monde.

 

Un signal au reste du monde

La main tendue chinoise ne concerne toutefois pas uniquement les occidentaux. Comme le rappelle Pierre Charbonnier, « vu du Sud, le Green New Deal apparaît souvent comme une consolidation des avantages acquis lors de la période extractiviste, comme un canot de sauvetage des économies avancées face aux perturbations globales ». Pékin change donc de gamme, et à ce titre pourrait forcer d’autres grands pollueurs à également sortir de l’attentisme (leur position, par ailleurs compréhensible étant jusqu’alors : les occidentaux d’abord). « Désormais, la pression va s’exercer sur l’Inde – longtemps partenaire de la Chine dans la résistance aux appels de l’Occident à s’engager fermement en matière de décarbonation – afin qu’elle fasse une annonce tout aussi audacieuse sur le climat », estime ainsi Adam Tooze.

 « Cela va obliger certains pays pollueurs, comme l’Australie, l’Indonésie ou le Vietnam, à questionner leur modèle économique basé sur des émissions toujours croissantes s’ils veulent continuer à exporter leurs produits vers l’Europe et la Chine », avertit pour sa part Richard Baron, de l’ONG 2050 Pathways Platform. Aussi, il ne faut pas sous-estimer l’importance stratégique de cette annonce, même si les politiques d’émission qui suivent ne sont pas tout à fait suffisantes pour atteindre l’objectif de 2060. Marque-t-elle une mutation du climat en outil géostratégique ? Oui. Mais pourquoi s’en plaindre si elle pousse les choses à enfin évoluer dans le bon sens ? La Chine s’engage pour la planète, et pourrait bien entraîner d’autres pays jusqu’alors réticents avec elle. Y compris les États-Unis.

 

Source : https://www.revue-internationale.com/2020/10/lecologie-atout-geopolitique-de-la-chine/