Le début de la fin de l’industrie pétrolière ?
par Géraud Bosman-Delzons pour RFI, le 13 décembre 2023
La COP28 s’est achevée ce mercredi 13 décembre avec un accord sur une « transition » du système énergétique mondial. Avec quatre décennies d’expérience dans le domaine environnemental derrière lui, l'ancien conseiller au secrétariat d’État américain à l’Énergie, Alden Meyer, cofondateur du Réseau Action Climat international, a participé de très près à 27 COP sur 28. Croisé à la sortie de la séance plénière, il s’est confié à notre micro.
Propos recueillis par notre envoyé spécial à Dubaï
Quel a été le rôle des États-Unis et de la Chine dans ces négociations ? Ils ont semblé éclipsés par le rôle de l’Union européenne et des pays du Golfe ?
C’est toujours utile quand les États-Unis et la Chine, les deux plus grandes économies et les deux plus grands émetteurs du monde, se parlent, se coordonnent. La Déclaration de Sunnylands sur le méthane signée avant la COP était un signe important. La Chine a évolué sur plusieurs problèmes importants, notamment avec son plan de réduction du méthane annoncé avant la COP.
Ici aussi ils se sont coordonnés sur le texte, alors que sur certains problèmes, ils étaient très éloignés, comme sur le charbon : les États-Unis faisaient pression contre de nouvelles centrales. De toute évidence, la Chine et l’Inde n’étaient pas satisfaites et ont bloqué cette option. Mais sur d’autres, ils ont trouvé un terrain d’entente et s’en sont servies pour convaincre d’autres pays d’utiliser d’autres formulations. Ils ont tous les deux été très actifs en coulisses, peut-être pas aussi visibles que l’Europe, les îles, ou le groupe Afrique, mais ce sont deux acteurs très influents, les États-Unis au sein des pays industrialisés et la Chine dans le groupe des G77+Chine.
Il y a eu comme un glissement durant cette COP, on les situe désormais dans le camp de la « sortie », même conditionnée…
Les États-Unis savent qu’ils doivent tenir leur obligation de couper leurs émissions de moitié à partir de 2030, et grâce à l'Inflation Reduction Act, ils ont fait des progrès en ce sens. La Chine s’est engagée à atteindre un pic d’émission avant 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2060. Mais en même temps, ils construisent de nouvelles centrales à charbon, ce qui est totalement incompatible. Donc, ça représente un geste de la Chine d’avoir accepté ce langage -de transition hors des énergies fossiles, NDLR- et cela sera intéressant de voir ce que la Chine propose en 2025 pour ces nouveaux engagements : est-ce qu’elle va s’engager à effectivement réduire ses émissions et pas seulement à atteindre son pic ? Est-ce qu’elle aura des cibles pour réduire ses émissions de méthane ? J’ai appris que ses seules émissions de méthane et autres émissions de gaz à effets de serre non carbonées feraient d’elle le 3e émetteur au monde. Juste pour vous dire l’échelle dont on parle s’agissant de ce pays.
Quel bilan tirez-vous de la présidence Al-Jaber ?
Je lui donne crédit d’être parvenu à ce résultat. C’étaient des négociations compliquées. Ils ont réussi à rassembler. Personne n’a eu tout ce qu’il voulait, mais à la fin tout le monde a admis que c’était un accord acceptable.
Un point de procédure problématique à mes yeux : pourquoi n’a-t-il pas attendu que les Petits États insulaires soient dans la salle pour commencer la plénière ? C’est une assez grosse erreur que 38 États de ce groupe majeur, qui est très inquiet sur de nombreux points, ne soient pas dans la salle. Je ne sais pas qui a décidé ça, mais c’est regrettable que la représentante samoane de ces îles arrive et doive se plaindre d’une décision qui venait d’être adoptée sans elle et les autres pays. C’était une erreur tactique. Mais globalement, c'était une COP bien organisée, le processus a été bien mené à bien des égards.
Maintenant, toute la question est de savoir ce que vont faire les Émirats de tout ça pour leur modèle économique : est-ce qu’ils vont poursuivre leurs plans de quasi doublement de leur production de pétrole dans les prochaines décennies ? Cela montrerait qu’ils ne respectent pas tellement ce à quoi ils et les autres pays se sont engagés ici en termes d’éloignement des énergies fossiles.
Les pays du Golfe sont-ils perdants ou gagnants à l’issue de cette COP ?
Depuis trente ans, l’Arabie saoudite et ses alliés ont construit le mur du déni qui nous a empêché de nommer les énergies fossiles comme la première source du problème. Cela a commencé à prendre un tour différent il y a deux ans à Glasgow, quand on a eu la décision de réduire les émissions issues du charbon. Cela s’est fortement accéléré ici avec cette décision d’éjecter les énergies fossiles du système énergétique, de tripler les renouvelables et de doubler son efficacité. Ils n’ont pas gagné, ils ont ralenti la transition en opposant leur résistance au langage de la « sortie ». Donc, on n’ira pas aussi vite que nous devrions à cause de leurs tactiques.
Mais ils ont perdu et c’est clairement le début de la fin de l’industrie pétrolière. C’est un peu la panique chez eux, on l’a vu avec cette lettre de l’Opec la semaine dernière qui encourageait ses membres à faire du lobbying contre toute mention des énergies fossiles. Ils n’ont pas réussi.
Les énergies fossiles ont été au cœur de ces deux semaines de négociations et c’est partout dans la décision. Pas comme nous l’aurions souhaité, nous voulions voir la « sortie » explicitement écrit, mais ils n’ont pas réussi à l’éviter, ce qui a été leur but de trente ans. La question maintenant, c’est à quelle vitesse on va aller ?
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