La Chine, les pays du Sud et les droits de l’homme

par Lionel Vairon pour Chine-info, le 14 janvier 2020

Le Département de la Communication du Conseil des Affaires d’État et le ministère des Affaires étrangères chinois viennent d’organiser à Beijing le 2ème Forum Sud-Sud des Droits de l’Homme, rassemblant les représentants des gouvernements, d’ONG et de la société civile de plus de 80 pays. Le thème central était cette année « La diversité des civilisations et le développement global des Droits de l’Homme ». Deux sessions plénières ont permis à un certain nombre d’intervenants chinois et étrangers de présenter à la fois leur perception de ce concept de droits de l’homme et l’évolution dans leurs pays respectifs.


Naturellement, le choix du thème des droits de l’homme pour des échanges Sud-Sud autour de la Chine tend à provoquer des sourires moqueurs, ou indignés selon les cas, chez nos interlocuteurs des pays développés occidentaux. En effet, il est de coutume de considérer que la Déclaration des Droits de l’Homme adoptée en 1948 demeure le socle incontestable et intemporel d’une définition universelle de ces droits. Nombre de délégués ont toutefois rappelé que cette Déclaration était essentiellement le fruit d’une vision politique des pays développés car seuls quelques très rares pays du Sud, alors déjà indépendants, eurent le privilège d’y être associés et que le narratif dominant ne pouvait continuer à être instrumentalisé par les grandes puissances.

Il faut cependant souligner que les participants dans leur ensemble n’ont pas contesté l’existence d’un certain nombre de principes qui peuvent être considérés comme universels mentionnés dans ce texte, mais ils ont également rappelé avec force que d’autres catégories de droits leur semblaient devoir être pris en compte car ils relevaient des caractéristiques particulières des différents États et nations qui forment aujourd’hui la communauté internationale. Cette exigence est d’autant plus importante qu’ils considèrent la politique droits-de-l’hommiste des puissances occidentales comme un instrument qui, le plus souvent, sert à imposer aux autres nations des règles politiques, économiques ou sociales servant leurs propres intérêts. Ils n’en veulent pour preuve que l’impunité totale dans laquelle des pays comme les Etats-Unis foulent aux pieds depuis des décennies des principes que par ailleurs ils affirment vouloir imposer à d’autres.

Washington n’a jamais longuement hésité à pratiquer le droit d’ingérence, la torture, le racisme, l’utilisation des armes chimiques au Viêtnam etc. Certains pays ont sombré dans le chaos suite aux interventions occidentales justifiées par la protection des droits de l’homme, le « devoir de protéger » comme la Libye récemment, et continuent aujourd’hui à payer un prix élevé pour ces interventions armées. Nombre de participants ont exprimé
leur indignation devant l’impunité de dirigeants qui ont déclenché des opérations militaires illégales au plan du droit international et ayant provoqué la mort de dizaines de milliers de civils, alors que des dirigeants des pays en voie de développement sont régulièrement traduits en justice devant la Cour Pénale Internationale. D’autres pays souffrent d’embargos décrétés par les Etats-Unis et les Européens qui affectent massivement les populations civiles, comme la Syrie ou l’Iran, qui pourraient être considérés comme des crimes de guerre.

 

D’une manière générale, tous les participants, chacun à sa manière, ont insisté sur l’importance qu’il y a à souligner les quelques facteurs qui rendent possible ce dialogue inter-civilisationnel sur les droits de l’homme : le respect et la tolérance à l’égard des particularités des différentes civilisations ; il n’existe pas de civilisation inférieure ou supérieure mais des civilisations qui à travers le dialogue permanent ne peuvent que s’enrichir, se féconder ; le refus de la domination d’une partie du monde sur l’autre vis-à-vis de la question des valeurs dites universelles ; le rejet de l’imposition de systèmes et
de modèles exogènes qui sont le plus souvent imposés par la force, qu’il s’agisse de la force armée ou de contraintes économiques et financières ; la nécessité d’une éducation aux droits de l’homme dès le plus jeune âge, même si le contenu de cette éducation peut prendre des formes différentes et reposer sur des particularités culturelles, historiques, sociales ou religieuses différentes.

Les responsables chinois ont de leur côté rappelé aux participants leur propre expérience du développement et souligné le lien existant entre le développement économique et social et la mise en œuvre des principes qui régissent les droits de l’homme. La construction sociale millénaire de la Chine a permis d’une part de mettre l’homme au centre des préoccupations mais dans un cadre collectif, celui d’abord de la famille puis de l’État, chacun ayant devoirs et responsabilités ; d’autre part d’accueillir au fil des siècles des influences étrangères, du bouddhisme venu de l’Inde à l’islam ou au christianisme, sans que ceci ne rompe l’harmonie de la société. Dans ce contexte, l’initiative Ceinture et Routes lancée par le président Xi Jinping a été mise en avant, débattue et ses orientations générales en faveur du développement et la coopération internationale recueillent un consensus indiscutable parmi les pays du Sud car elle représente un outil majeur pour accélérer la mise en place d’une véritable solidarité internationale.

La tenue régulière de ce forum est souhaitée par tous les participants car le dialogue qui s’y établit progressivement peut conduire à terme à un autre dialogue, Sud-Nord cette fois, sur cette problématique des droits de l’homme et sur la nécessité désormais évidente de mettre en place une plateforme de concertation internationale susceptible de réduire progressivement le fossé qui sépare les différents mondes en matière de définition, de priorités et de légalité internationale. Contrairement à une idée généralement répandue dans les pays occidentaux, les divergences, si elles existent, portent moins sur le concept même de droits de l’homme et sur son application que sur le double standard systématiquement utilisé pour servir des intérêts bien souvent inavoués…

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Lionel Vairon est titulaire d’un doctorat d’études vietnamiennes, diplômé de Chinois et de Sciences politiques ; ancien journaliste (1985-1989), ancien diplomate (1991-2002) en poste successivement au Cambodge, en Thaïlande et en Iraq, ancien enseignant à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales au Département de Vietnamien et de Hautes Études internationales et à HEC, conférencier sur la Chine à l’IHEDN et à l'École de Guerre ; auteur d’articles de plusieurs ouvrages sur la Chine en France, en Chine et aux États-Unis, et dans des revues spécialisées, en particulier sur la géopolitique de la Chine, les relations internationales, le monde arabo-musulman et les mouvements communistes indochinois. Président de la société CEC Consulting et Senior Researcher de l'Institut Charhar des Relations internationales et de diplomatie publique à Beijing.