Une nouvelle dynamique avec la protection de l'architecture traditionnelle et des villages anciens
par Marie-Georges Pagel-Brousse* pour "Dialogue Chine-France", le 17 octobre 2023
En tant que responsable d’une association de protection du patrimoine, c’est avec joie que j’ai pris connaissance de l’Action de sauvetage de l’habitat ancien du district de Songyang à Lishui, qui donne un nouveau visage à la campagne locale. C’est très proche de ce que nous faisons partout dans le monde.
La protection transcende les frontières
REMPART est une organisation nationale qui a pour ambition d’associer des citoyens autour d’un projet concret et collectif sur le patrimoine. Notre réseau compte actuellement 200 associations locales partout en France et cette implication dépasse les frontières. C’est pourquoi, nous avons noué des relations étroites avec plus de 50 partenaires dans une trentaine de pays. Chacun de nos projets est local et s’attache à la sauvegarde, la mise en valeur et l’animation d’un élément du patrimoine par l’intermédiaire de chantiers de bénévoles. Cet élément du patrimoine est au cœur du projet associatif local. Le but est de restaurer, de réhabiliter et de transmettre un patrimoine que nous avons hérité du passé. Et pour REMPART, le patrimoine constitue un objet de formation, de découverte, d’apprentissage, d’inclusion, de socialisation des personnes qui participent au projet.
Le projet a une dimension philosophique pour faire en sorte que le patrimoine pris en charge soit un bien commun, qu’il ait un usage collectif et que les bénévoles, les membres des associations ou toutes les parties prenantes du projet se l’approprient. REMPART estime que le patrimoine n’est pas seulement une affaire des experts, le patrimoine est l’affaire de tous.
Le chantier de restauration de Périllos
Nous avons restauré certains villages abandonnés comme à Périllos, dans les Pyrénées-Orientales, un projet très emblématique des valeurs que nous défendons et expérimentons sur la transition écologique. Périllos fut victime du phylloxéra, au début du XXe siècle, qui a anéanti les vignes, ressource locale presque unique pour les habitants. La mortalité infantile croissante a mis fin au développement de la population et les deux guerres mondiales ont vidé le village de ses hommes, obligeant les veuves à partir.
Terre de pierres, une association partenaire, y travaille depuis 2006. Grâce aux chantiers de bénévoles, elle participe à la sauvegarde du village, de son environnement et de sa mémoire, et à son intégration dans la vie quotidienne et culturelle. Terre de pierres travaille sur les parcelles communales, dont elle est locataire, en utilisant matériaux et techniques traditionnels de construction.
Périllos n’est pas raccordé à l’eau courante et il n’y a pas de rivière à proximité. L’eau était montée du village le plus proche dans des citernes, en camion. Elle est de fait rare, et donc encore plus précieuse qu’ailleurs, il a fallu prendre de bonnes habitudes pour l’économiser avec la mise en place de toilettes sèches, un système de pompe à pied sans gravité pour la douche et la réutilisation de toutes les eaux (lavage et cuisson des légumes pour le jardin, celle de sortie de phytoépuration pour le mortier). Aujourd’hui, il y a des toitures et un système de récupération des eaux de pluie, mais les habitudes d’économie doivent rester les mêmes. Pour traiter les eaux grises, des bacs plantés de diverses espèces selon les étages, assurent un très bon résultat.
La réutilisation des matériaux joue un rôle prépondérant. Cela est pris en compte en tout début de chantier. Lors du déblaiement ou de la déconstruction, un tri sélectif est opéré pour faciliter le réemploi des matériaux. Plusieurs tas sont réalisés, les pierres sont séparées selon leur taille et leur utilisation. Les pierres d’angles, les pierres d’arc, celles pourvues d’une face de parement, celles en forme de « patates » et les plates, toutes ont un rôle lors de la construction future. Et même les tessons de carrelages et de tuiles en terre cuite servent à bâtir, à réaliser un four à pain, un mortier au tuileau, ou à niveler une ornière boueuse. Les anciens mortiers et autres gravats sont tamisés, le sable ainsi récupéré devenant un excellent complément d’agrégat aux couleurs locales.
Une fois recoupés, les poutres et bois de charpente en mauvais état font de très bons linteaux. Certains bois morts imputrescibles trouvés dans les garrigues environnantes sont aussi recueillis et utilisés dans la construction. Les possibilités sont vastes dès lors que cette notion de recyclage/réemploi est intrinsèque à la démarche. Cela permet de limiter l’impact que génèrent l’extraction et l’acheminement. Les règles de l’art sont aussi mieux respectées en réutilisant les matériaux adaptés de jadis. Les transports sont non seulement coûteux mais ont des conséquences désastreuses sur le climat. Ne restent à la fin qu’un peu de remblai pour boucher les trous et quelques morceaux de bois parfaits pour les grillades des produits locaux.
Ce village revit ainsi petit à petit, encore une fois grâce à l’action de bénévoles très engagés.
L’exemple du Guizhou
J’ai constaté aussi des changements importants à Yunshantun (Guizhou) après l’intervention positive des équipes franco-chinoises.
Je me souviens de ce magnifique village presque déserté par ses habitants partis vivre dans des immeubles plus bas dans la vallée. Je me souviens de la dynamique formidable qui s’est créée autour des artisans locaux, en particulier les charpentiers, qui avaient si bien su transmettre leur savoir aux jeunes totalement sans expérience dans ce secteur.
J’ai également en mémoire l’exemple du chantier réalisé sur une maison traditionnelle miao du village de Xijiang où j’ai travaillé. Ce chantier a été important car il a permis de donner montrer ce qui pouvait être fait ou refait de façon traditionnelle, belle et respectueuse. Les autorités locales ont souhaité que les habitants suivent une telle voie pour les prochains chantiers.
Il s’agissait donc de reconstruire une demeure en bois. Nous avons procédé au démontage de la toiture et au stockage des tuiles, au démontage d’anciennes latrines et au stockage des briques après nettoyage, au démontage et au lavage à l’eau et au savon des anciens pans de bois, au transport des éléments en bois neufs, au rabotage des poutres et sculptures décoratives de certains éléments, à la fabrication de mortaises dans les piliers et les poutres, au déblaiement, à la mise en sac et au transport de la terre battue du sous-sol, puis à la reconstruction d’un mur de soutènement et enfin, au montage de la panne faîtière
Toute l’équipe chinoise a été très impressionnée de l’engagement des bénévoles et de leur volonté de s’appliquer et de réaliser le plus de travail possible, et tous les jeunes ont été ravis.
Lors de mon dernier échange avec le charpentier de l’ethnie miao, si attentif, si pédagogue et si patient avec les bénévoles, il m’a confié des propos qui restent gravés dans ma mémoire. « J’ai compris, grâce à ce chantier, l’importance des techniques traditionnelles. Je vais reprendre tout ce que j’ai appris autrefois et l’améliorer pour pouvoir le transmettre. Je sais maintenant que c’est capital pour nous et pour notre culture. »
De la nécessité de protéger le patrimoine
Le patrimoine est sans conteste une opportunité indéniable pour unir les peuples, pour bâtir la fraternité quelle que soit l’origine de chacun, et pour instaurer la compréhension et la tolérance.
Avec la Fondation du patrimoine Ruan Yisan de Shanghai, nous partageons les mêmes valeurs concernant le patrimoine, nous savons combien il est important pour l’être humain de le restaurer et de le promouvoir. La différence est que les initiatives de conservation à Songyang découlent de la promotion des agences gouvernementales locales et de la volonté commune des villageois, ce qui fournit une motivation supplémentaire pour une protection et une utilisation accrues du patrimoine.
La dynamique instaurée, l’attractivité retrouvée, l’animation renouvelée sont autant de facteurs d’attractivité et de développement local. La restauration du patrimoine est une source inépuisable de possibilités et l’engagement bénévole un vecteur de citoyenneté. La coopération franco-chinoise est un exemple parfait de ce qui est réalisable et nécessaire pour contribuer au partage d’expérience et à une compréhension mutuelle.
*MARIE-GEORGES PAGEL-BROUSSE est présidente de l’Union REMPART
URL de l'article: http://www.dialoguechinefrance.com/soci/202310/t20231017_800345254.html