Les nouvelles Routes de la Soie ont de vertes années devant elles !
par Elisabeth Martens, le 25 juin 2024
L'ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, Erik Solheim, estime que l’initiative « La Ceinture et la Route » est devenue le plus grand moteur du développement vert mondial. De l’Alliance internationale de développement vert « La Ceinture et la Route » au « Plan messager de la Route de la Soie verte », puis à l’initiative de partenariat de développement vert « La Ceinture et la Route », le vert est devenu le fond distinctif d’une construction commune de haute qualité de l’initiative « La Ceinture et la Route ».
La BRI, un projet de 2013, lancé par Xi Jinping
Les nouvelles Routes de la soie sont un projet stratégique chinois initié en 2013 par le président chinois, Xi Jinping. Elles visent à relier économiquement la Chine à l’Europe en intégrant les espaces d’Asie Centrale par un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires. Dans son versant maritime, ce réseau de routes commerciales inclut également les espaces africains riverains de l’Océan indien et projette ses ambitions jusqu'au continent sud-américian.
Dès l'annonce du projet à Astana (Kazakhstan) en 2013, lors de la tournée du président chinois Xi Jinping en Asie centrale, la référence historique à la route caravanière qui reliait la Chine au monde méditerranéen était explicite dans les discours officiels chinois. En 2017, la terminologie officielle de « One Belt, One Road » (« une ceinture, une route ») a été remplacée par "Belt and Road Initiative" (BRI).
Depuis, ce projet est devenu central dans la politique économique chinoise. Il concerne plus de 68 pays regroupant 4,4 milliards d’habitants et représentant près de 40 % du produit intérieur brut (PIB) de la planète. Les banques et institutions financières chinoises, notamment la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (BAII) ont largement été sollicitées pour mettre en place un tel projet.
Les objectifs économiques de la BRI sont multiples pour la Chine : il s’agit d’accroître ses exportations, d'écouler sa production et de trouver des nouveaux marchés pour ses entreprises de bâtiments et de travaux publics. La Chine est en surcapacité industrielle alors que l’Asie centrale est un marché en pleine expansion. La création de la BRI répond également à un besoin de diversification et de sécurisation des approvisionnements énergétiques de la Chine. L'Asie centrale représente pour la Chine un intérêt majeur si elle veut se libérer de sa dépendance énergétique vis-à-vis des pays du Golfe et de la Russie. Par ailleurs, en solidifiant des accords de coopérations avec des pays comme le Sri Lanka, le Bangladesh ou la Birmanie, elle assure en même temps la sécurité de ses nouvelles routes d’approvisionnement.
Politiquement, l'objectif est autant intérieur qu’international. Sur le plan interne, il s’agit pour la Chine d’assurer l’intégrité de son territoire. La province du Xinjiang, très riche en matières premières et située au carrefour des routes d’hydrocarbures, est régulièrement en proie à des conflits ethniques. Pékin souhaite que l’aide au développement des pays limitrophes (Afghanistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizstan), réduise l’instabilité aux frontières et à l’intérieur du pays. L’objectif interne se greffe à un objectif de politique régionale en Asie centrale : étendre l’influence chinoise face à l’acteur historique russe, et s’affirmer comme un acteur stabilisateur des relations internationales.
La BRI fête ses 10 ans lors de son 3ème Forum
En octobre 2023, la Chine a organisé le troisième Sommet de la coopération internationale de la BRI à Beijing. Il s’agissait non seulement du plus grand événement de commémoration du 10ème anniversaire du lancement de l’initiative « La Ceinture et la Route », mais aussi d’une plate-forme importante permettant à toutes les parties de discuter et de construire conjointement une coopération de haute qualité. Au cours des dix dernières années, la BRI a attiré la participation de plus des trois quarts des pays du monde, lancé plus de 3 000 projets de coopération, augmenté l’ampleur des investissements de près de 1 000 milliards de dollars et créé 420 000 emplois pour les pays riverains.
Lors de la conférence de presse tenue à l'issue du 3ème Forum de la BRI pour la coopération internationale, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wan Yi, a déclaré: « Au cours des dix ans écoulés, la coopération dans le cadre de la BRI a réalisé des accomplissements historiques dont les fruits ont bénéficié à plus de 150 pays. Nous avons ainsi ouvert une voie de coopération, d'opportunité et de prospérité vers le développement et la prospérité communs. Cette Initiative est aujourd'hui le bien public mondial le mieux accueilli et la plus grande plate-forme de coopération internationale dans le monde. 151 pays et 41 organisations internationales ont participé au présent Forum, et le nombre d'inscrits s'élève à plus de 10 000 au total.
Ce grand rendez-vous a démontré une fois encore la force de rassemblement et la portée internationale de la coopération dans le cadre de la BRI ». Au chapitre sur la connectivité, les participants ont affirmé leur soutien à l'approfondissement de l'interconnexion, à la construction des infrastructures durables, résilientes et de haute qualité, au renforcement de la coopération dans les domaines comme le transport, l'énergie, les ressources naturelles et les travaux hydrauliques, et à l'amélioration de la connectivité immatérielle des infrastructures pour bâtir une économie mondiale ouverte.
Au cours des dix dernières années, les projets phares réalisés dans le cadre de la BRI sont de grande envergure, par exemple, le train Chine-Europe, le nouveau canal terrestre et maritime à l’ouest, le chemin de fer Chine-Laos et le développement du port du Pirée. Ces projets ont établi une base solide pour le développement de la coopération économique et commerciale et de la coopération en matière de capacité de production, tout en élargissant l’espace de coopération en matière d’énergie et de ressources. D'autres réalisations exemplaires sont la centrale électrique sri-lankaise de Putram qui éclaire des milliers de foyers, la mise en service du chemin de fer Mombasa-Nairobi au Kenya qui a valu une croissance de plus de 2% dans l’économie locale, l’aide à des jeunes dans plus de 20 pays pour acquérir des compétences professionnelles grâce aux « Ateliers Luban ».
Chacune de ses réalisations donne un nouvel élan au développement des pays participant à la BRI. L’Institut Bruegel, un think-tank européen, a extrait des données des médias grand public de près de 150 pays et, sur cette base, a réalisé une analyse quantitative de l’attention et de l’orientation de l’opinion publique mondiale envers l’initiative « la Ceinture et la Route ». Le rapport final publié estime que la plupart des régions du monde ont des opinions plutôt favorables sur l’initiative chinoise « La Ceinture et la Route ». Ainsi on peut affirmer sans fanfaronade que la BRI est devenue, au cours des dix dernières années, le bien public international le plus populaire et la plus grande plate-forme de coopération internationale.
Un projet qui s'est "verdi"
Stratégie lucide visant à relier l’Asie à l’Afrique et à l’Europe par des réseaux terrestres et maritimes, la BRI a pour principaux objectifs l’intégration régionale et la stimulation du commerce et de la croissance économique… mais pas seulement ! Les enjeux mondiaux liés au développement durable de la même décennie ont été portés par les Nations unies ou encore par "l’Accord de Paris" sur le climat. La Chine est devenue un acteur incontournable pour favoriser l’énergie verte, ce qui a inévitablement conduit le gouvernement au développement d’une stratégie pour "verdir les routes de la soie". Elle a été lancée lors du 2ème Forum de « la Ceinture et de la Route » pour la coopération internationale, en avril 2019 à Beijing. L’idée était de créer un réseau international ouvert, inclusif et volontaire, qui rassemble l’expertise environnementale de tous les partenaires pour s’assurer que la BRI apporte un développement vert à long terme à tous les pays concernés.
Lors du 3ème Forum de haut niveau de la BRI, les invités ont souligné la nécessité de diriger les initiatives de la Route de la Soie vers plus d'harmonie avec la nature, de répondre collectivement au défi du changement climatique, de renforcer la coopération en matière de conservation de la biodiversité et d'instaurer des partenariats d'investissement et de financement en vue de donner une dynamique verte à la BRI.
Dans ce cadre, les barrages hydroélectriques ont été jugés comme prioritaires pour leurs attributs verts et socialement impactants pour les économies et les populations. 49 % des centrales hydroélectriques installées sur le continent africain durant ces dix dernières années sont dues à la Chine. L’énergie hydraulique continuera d’être le cœur de la présence chinoise en Afrique, en attestent les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie qui anticipe que 70 % des capacités hydrauliques sur la période 2021-2030 en Afrique devraient provenir d’acteurs chinois. L’enjeu est de garantir des études environnementales et sociales préliminaires, des systèmes de résolution des conflits et des mécanismes de transparence solides pour réduire le profil de risque de ces grands projets.
Par ailleurs, il est important de redorer l’image de l’énergie hydraulique, souvent critiquée pour ses projets longs et coûteux. Mais il faut voir les apports de ces constructions sur le le temps long, ce qui est la nature même des projets de la BRI. Un projet hydraulique, ce n’est pas seulement un bloc de béton dans la nature, c’est aussi une source d’énergie propre, fournissant des capacités électriques manquantes pour la création d’un réseau économique. Ce dernier favorisera l’essor social des populations et leur développement. Du côté de la formation, ce sont des ingénieurs et techniciens qui seront formés sur les métiers de ce secteur devenu stratégique pour les pays concernés.
La coopération verte sino-européenne
La Chine et l’UE ont mis en place de vastes systèmes de financement vert. L’objectif des deux marchés est de mobiliser des fonds pour contribuer à une économie verte en réduisant les coûts de transaction et en augmentant les incitations à la finance verte. La Chine et l’UE ont déjà mis en place une plate-forme pour accélérer l’harmonisation du financement vert. Cette coopération qui s’inscrit dans les objectifs de 2060 développera au fil du siècle des expériences enrichissantes, adaptables aux pays en développement membres de la BRI. La coopération sino-européenne pourra favoriser un financement vert sur des continents encore novices ou trop peu impliqués dans cette nouvelle forme de financement.
Des échanges approfondis et une coopération pratique sur l’environnement et le climat, l’énergie verte et la finance verte dynamiseront encore davantage le partenariat stratégique global entre la Chine et l’Europe. Cela offrira de nouvelles solutions qui aideront aux transitions économiques d’autres pays et contribuera à promouvoir le développement durable à l’échelle mondiale. La coopération sino-européenne en faveur de l’économie verte est anticipée au niveau planétaire.
Une plate-forme de coopération énergétique UE-Chine a été approuvée dans la déclaration du sommet UE-Chine, le 9 avril 2019, par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le président du Conseil européen, Donald Tusk, et le Premier ministre chinois, Li Keqiang. Elle a été mise en œuvre à Beijing le 15 mai 2019.
Cette plate-forme est un outil pratique qui soutient le dialogue sur l’énergie et permet d’atteindre les objectifs spécifiques de la coopération énergétique bilatérale entre l’UE et la Chine. L’instrument de partenariat de l’UE, conçu pour promouvoir les intérêts stratégiques de l’UE et relever les défis mondiaux, finance la plate-forme. Elle est dirigée conjointement par la direction générale de l’énergie de la Commission européenne et l’Administration nationale de l’énergie de Chine. Ensemble, ils fournissent une analyse approfondie des avantages et des défis dans les quatre domaines prioritaires de la déclaration conjointe de 2019 : énergies renouvelables (yellow tech), gestion des déchets et de l’eau (blue tech), techniques de plantation (green tech) et innovation sociale (engagement social et co-création).
La plate-forme rassemble un large éventail d’acteurs du secteur de l’énergie en Chine et dans l’UE, tels que les autorités publiques compétentes, les associations du secteur de l’énergie, l’industrie et les entreprises du secteur de l’énergie, ainsi que les principaux instituts de recherche et groupes de réflexion dans le domaine de l’énergie. On peut citer la coopération sino-européenne intitulée « SiEUGreen » qui est un projet de coopération avec des participants de Suède, du Danemark, d’Italie, de Turquie et de Chine. Le consortium du projet SiEUGreen est multidisciplinaire et comprend des chercheurs européens et chinois, des fournisseurs de technologie, des PME, des financiers, des autorités locales et régionales et des communautés résidentes.
Dans le domaine de l’hydrogène, source d’énergie de plus en plus populaire, la coopération sino-européenne se renforce et pourrait profiter aux pays en développement. Le 15 avril, le 2023 China-Europe Hydrogen Energy Industry Forum s’est tenu à Baotou, dans la région autonome de Mongolie intérieure, dans le but de saisir l’opportunité de la transition énergétique pour approfondir les échanges et la coopération entre la Chine et l’Europe en vue d’un développement de haute qualité de l’industrie de l’hydrogène.
Dans le monde d’aujourd’hui, les pays voient leurs intérêts s’imbriquer et leurs destins étroitement se lier. Sur ces questions, urgentes et partagées, il y a la nécessité de dépolitiser l’évaluation financière et de se concentrer plutôt sur l’amélioration du cadre de vie des régions concernées par la BRI, ainsi que sur la volonté de réduire les émissions de carbone grâce à la diffusion des technologies de pointe.
Global Gateway en partenariat ou en concurrence avec la BRI ?
La coopération devrait être la norme, mais depuis le lancement du « Global Gateway », la Chine se demande si on ne s’oriente pas vers une compétition, si cette stratégie européenne ne vise pas le secteur du développement durable pour concurrencer l’initiative de la Chine. Aurons-nous droit à une compétition saine pour le bien des pays et des économies en développement ou bien à une volonté de dépassement et de négation des efforts déployés par la Chine depuis 2013 dans le projet de la BRI ?
Après le Forum d'octobre 2023, une déclaration présidentielle a été publiée par la Chine. Xi Jinping y souligne que l'humanité vit dans une communauté d'avenir interdépendante, que seule la coopération gagnant-gagnant permettra de réussir de grandes actions dans l'intérêt de tous et que l'esprit de la Route de la Soie doit être marqué par la paix, la coopération, l'ouverture, l'inclusion, l'inspiration mutuelle et le bénéfice partagé. C'est un tel état d'esprit qui doit animer la BRI, il constitue la plus grande source d'énergie pour une coopération saine. Depuis Beijing, le 3ème Forum de la BRI envoie au monde un message clair : nous voulons la solidarité et non la division, nous voulons la coopération et non la confrontation.
Comme l'a affirmé le Président Xi Jinping, la Chine ne recherche pas une modernisation au seul bénéfice d'elle-même, mais la réalisation d'une modernisation commune, avec tous les pays, notamment les autres pays en développement. Lors du Forum de 2023, 458 acquis ont été obtenus - un chiffre beaucoup plus élevé que celui du précédent Forum – qui comprennent des initiatives de coopération importantes et des arrangements institutionnels. Ces résultats de coopération tangibles sont des votes de soutien et de confiance de la part des participants à la BRI. La coopération dans le cadre de cette initiative rejette les discours creux et préconise les actions concrètes. Elle donnera certainement une dynamique inépuisable à la croissance mondiale et au développement commun dans le monde.
Sources:
http://www.chinatoday.com.cn/ctfrench/2018/sd/202310/t20231009_800344433.html
https://francais.cgtn.com/news/2023-10-19/1714995617354620929/index.html
https://guineenews.org/linitiative-la-ceinture-et-la-route-une-voie-du-bonheur-qui-profite-a-tous-les-pays-et-au-monde/
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie
https://www.cci-paris-idf.fr/sites/default/files/2020-12/routes-de-la-soie.pdf