COP29 : les Asiatiques à la manœuvre
par Hubert Testard pour Asialyst, le 30 novembre 2024
La COP29 a été l’occasion pour les pays Asiatiques de jouer un rôle central dans les négociations et la formulation du compromis final. Alors que l’Azerbaïdjan s’est fait remarquer par une présidence chaotique et pro-énergies fossiles, la Chine s’est imposée comme leader des conventions climat à la veille d’un nouveau retrait américain, tandis que l’Inde s’est érigée en porte-parole des pays en développement et que l’Indonésie a cherché à faire valoir sa politique climatique.
La COP29 a été l’occasion pour les pays Asiatiques de jouer un rôle central dans les négociations et la formulation du compromis final. Alors que l’Azerbaïdjan s’est fait remarquer par une présidence chaotique et pro-énergies fossiles, la Chine s’est imposée comme leader des conventions climat à la veille d’un nouveau retrait américain, tandis que l’Inde s’est érigée en porte-parole des pays en développement et que l’Indonésie a cherché à faire valoir sa politique climatique. Ce rôle central des pays asiatiques reflète une réalité. Le groupe dit des « pays développés » représentera, après le départ des États-Unis, moins de 1/8ème des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. L’Asie représente déjà plus de 50 % de ces émissions et plus de 90 % des émissions supplémentaires. La Chine vient de dépasser l’Union européenne dans le cumul des émissions de CO2 depuis 1850. Aucune réponse globale aux enjeux climatiques n’est possible sans un leadership asiatique.
La COP29 a été encore plus laborieuse que les précédentes. Elle a failli ne pas aboutir devant les protestations indignées de l’Inde et du Nigeria au moment où le compromis final a été imposé par la présidence azerbaïdjanaise. Cette COP était centrée sur la question du financement des politiques climatiques des pays en développement par les pays développés. Le compromis final comporte, à l’horizon 2035, un objectif de financement annuel de l’action climatique réalisée par les pays en développement à hauteur d’au moins 300 milliards de dollars. Les pays développés doivent assurer la direction (« the lead ») des programmes de financement, qui peuvent prendre des formes diverses – publics ou privés, bilatéraux ou multilatéraux, destinés à la réduction des émissions ou à l’effort d’adaptation. Les pays en développement sont « encouragés » à faire des contributions et à développer les partenariats Sud-Sud. Cet objectif de 300 milliards de dollars par an est très éloigné des chiffrages et des demandes exprimées par les différents groupes régionaux représentant les pays en développement (Groupe africain, Groupe des 77…) qui se situaient à 1 300 milliards de dollars par an.
Qu’est-ce qu’un pays développé ?
Il n’existe dans le cadre des Nations Unies aucun dispositif permettant de contraindre les pays émergents à sortir du groupe des pays en développement. Alors que la Banque Mondiale est souveraine pour déterminer et vérifier les seuils de PIB par habitant à partir desquels sont répartis en quatre groupes tous les pays de la planète, le changement de catégorie à l’ONU se fait sur la seule base du volontariat. Autant dire que personne ne se précipite. D’autant que le principe de responsabilité commune mais « différenciée » permet aux pays en développement de réclamer le soutien des pays développés sans avoir l’obligation d’agir par leurs propres moyens.
Singapour, dont le PIB par habitant est de 89 370 dollars en 2024, soit le double de celui de la France, figure toujours au sein de l’accord sur le climat comme un pays en développement n’ayant aucune obligation de faire un effort pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Il en est de même pour le Qatar, les Émirats Arabes Unis ou Israël, dont les PIB par habitant sont supérieurs à celui de la France, la Corée du Sud, qui dépasse l’Espagne, l’Arabie saoudite qui se situe au-dessus du Japon. La Chine devrait devenir d’ici quelques années un pays à haut revenu pour la Banque Mondiale. Mais elle peut rester indéfiniment un pays en développement dans le cadre des conventions climat si elle le souhaite.
Dans la définition actuelle, les pays développés se limitent à l’Amérique du Nord, l’Union européenne, La Grande-Bretagne, la Suisse et la Norvège en Europe, ainsi que trois pays d’Asie-Pacifique (Japon, Australie, Nouvelle-Zélande). Les émissions de gaz à effet de serre de ce groupe représentaient 22,8 % des émissions mondiales en 2023. Après le retrait plus que probable des États-Unis, cette proportion passera à 11,6 %. On demande donc à des pays représentant aujourd’hui moins d’1/8ème des émissions de gaz à effet de serre de payer pour tous les autres. Il est évident qu’on n’y arrivera pas.
Lorsque le groupe des pays développés a introduit dans les négociations un paragraphe dans lequel les pays en développement sont « invités » à contribuer au financement de l’action climatique en faveur des PED, la Chine et le groupe des 77 ont imposé une formulation plus faible, remplaçant « invités » par « encouragés ». La Chine a pour la première fois communiqué sur le montant de l’aide qu’elle a accordé depuis 2016 aux pays en développement sur des projets liés au changement climatique (24 milliards de dollars), mais elle n’a pris aucun engagement pour l’avenir et elle conserve un accès aux financements des pays développés au même titre que les autres PED. Sans modification de ces règles, le chapitre financement des conventions climat est voué à l’échec.
L’Azerbaïdjan, présidence dysfonctionnelle
Il est utile de se rappeler comment l’Azerbaïdjan a obtenu la présidence de la COP29. Dans les règles de l’ONU, c’était au tour des pays dits « d’Europe orientale » d’assurer la présidence. La Russie a mis son veto à toute candidature d’un pays membre de l’Union européenne. Restaient deux candidats en lice : l’Arménie et l’Azerbaïdjan. L’Arménie a fini par accepter de laisser la place à l’Azerbaïdjan à la suite d’un échange de prisonniers liés à la guerre pour le Haut-Karabagh qui avait opposé les deux pays à l’automne 2020. En compensation, l’Arménie présidera la COP17 sur la biodiversité en 2026.
L’Azerbaïdjan n’a pas l’habitude de s’intéresser au processus des conventions pour le climat. Il n’avait envoyé que six délégués à la COP28. Il en rassemble 2 229 pour la COP29, première délégation devant celles du Brésil (1 914 délégués) qui présidera la COP30, suivi par la Turquie (1 892), les Émirats arabes unis (1011) et la Chine (969).
L’Azerbaïdjan est un pays particulièrement dépendant des énergies fossiles, qui représentent 90 % de ses exportations et les deux tiers de ses ressources budgétaires. La COP29 a été pour le pays une occasion privilégiée pour négocier des accords liés au développement des énergies fossiles avec les 1 700 délégués représentant les industries mondiales du secteur. Lors de l’ouverture officielle de la conférence, le président Ilham Aliyev a décrit l’industrie pétrolière et gazière comme un « don de Dieu ».
L’Azerbaïdjan a tout fait pour ne pas se référer au compromis principal de la COP28 qui portait sur « une transition vers l’abandon des énergies fossiles » (en anglais : « transitioning away from fossile fuels »). La présidence a refusé de produire un texte de couverture dans lequel il est d’usage de se référer à l’ensemble des principaux enjeux de négociation. Prétextant du fait que l’agenda de la COP29 était concentré sur le financement de l’action climatique, elle n’a pas voulu reprendre le débat sur les énergies fossiles (avec le soutien actif de l’Arabie saoudite), débat qui devra être repris par le Brésil lors de la COP30. Seul point à son actif : un schéma multilatéral d’échange de permis d’émission (carbon trading) a été finalisé, ce qui devrait permettre de créer à terme un marché international de ces permis.
La Chine en position de leader
La Chine était en position de force lors de la COP29. Son statut de pays en développement lui a permis d’exercer une pression constante sur les pays développés en matière de financement de l’action climatique, en s’appuyant sur son partenariat avec le groupe des 77. Elle a su éviter que les pays les moins développés et les petits pays insulaires n’obtiennent un traitement de faveur sous forme de sous-enveloppes financières, en insistant sur l’idée que tous les pays en développement – dont la Chine – doivent avoir un accès équitable aux financements mobilisés par les pays développés.
L’enveloppe financière de 24 milliards de dollars accordés par la Chine depuis 2016 sur des projets climatiques dans les pays en développement n’est pas négligeable. Elle situe Pékin en cinquième position des pays financeurs à égalité avec la Grande-Bretagne et derrière le Japon, l’Allemagne, les États-Unis et la France. Mais les financements chinois restent des contributions volontaires, et la Chine n’a pris aucun engagement pour l’avenir.
Différents négociateurs chinois ont souligné la volonté du pays de s’impliquer davantage dans le processus multilatéral des conventions climat, et l’empire du milieu se positionne clairement en futur leader des négociations après le départ programmé des États-Unis.
L’Inde, bruyant porte-parole des pays en développement
L’Inde s’est distinguée lors de la COP29 par des prises de position agressives sur le « coût énorme » des actions qu’elle est contrainte de mener pour lutter contre le changement climatique et sur l’incapacité des pays développés à faire face à leurs responsabilités en matière de financement. Elle s’est dressée avec le Nigeria contre le compromis final imposé par la présidence azerbaïdjanaise, qualifiant l’enveloppe de 300 milliards de dollars annuels annoncée comme « dérisoire et d’une pauvreté abyssale », sans pour autant aller jusqu’à bloquer l’adoption du consensus.
L’activisme indien vise sans doute à faire taire les voix de ceux qui, au sein des pays les moins avancés, estiment que l’Inde et la Chine devraient contribuer au financement de l’action climat en leur faveur. Le ministre de l’Environnement du Nigeria a notamment souligné lors des négociations que « la Chine et l’Inde ne peuvent pas être classés dans la même catégorie que le Nigeria et d’autres pays africains. Ils sont dans une phase de développement plus rapide et ils devraient s’engager pour nous aider ». Un message que la délégation indienne n’avait manifestement pas l’intention de prendre en compte.
L’Indonésie s’affiche sur la transition énergétique
L’Indonésie est le pays qui a le plus développé ses capacités électriques à base d’énergies fossiles au cours des cinq dernières années, et le charbon représente près des deux tiers du mix électrique indonésien. Le pays d’Asie du Sud-Est s’était distingué juste avant la COP28 en signant avec les membres du G7 un « partenariat pour une transition énergétique juste » qui devait mobiliser 20 milliards de dollars pour accélérer la transition énergétique. Les représentants indonésiens ont profité de la COP29 pour donner corps à ce programme à travers cinq partenariats stratégiques entre la compagnie électrique nationale (PNL) et différents acteurs internationaux de Grande-Bretagne, d’Allemagne et de Singapour.
Globalement, la COP29 est une illustration supplémentaire de la fin du leadership occidental et de la montée en puissance des autres civilisations décrites en 1994 par Samuel Huntington dans son best-seller, Le choc des civilisations. L’Asie est au centre de ce rééquilibrage mondial et l’avenir de la lutte contre le dérèglement climatique sera beaucoup plus déterminé par Pékin, New Delhi, Jakarta ou Tokyo que par Washington, Londres, Berlin ou Paris.
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