La Chine s'engage pour 2060
par Julia Tasse pour Dialogue Chine-France, le 7 décembre 2020
À l’heure où l’engagement climatique des États-Unis reste incertain malgré la victoire de Joseph Biden à l’élection présidentielle américaine, la Chine se positionne comme un leader dans la lutte contre les changements climatiques.
En déclarant le 22 septembre 2020, à la tribune des Nations Unies pendant la 75e Assemblée générale, un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2060, le président Xi Jinping a en effet montré la force de l’ambition chinoise et suscite l’espoir de voir se renouveler l’exploit de la COP21 lors de la COP26 en 2021. Générant un grand enthousiasme au sein de la communauté climatique, cette annonce représente un bond important vers la tenue des objectifs de l’Accord de Paris.
Tout d’abord, la neutralité carbone annoncée n’est pas conditionnée à l’adoption d’objectifs semblables par d’autres pays. La Chine cherche ainsi à marquer sa différence et à rompre définitivement avec les pratiques en cours jusque-là. Ensuite, ces objectifs émanant du plus large émetteur de gaz à effet de serre mondial, leur symbolique n’en est que plus forte et leurs répercussions plus importantes. Ainsi, selon les estimations de Climate Action Tracker, la neutralité carbone par la Chine en 2060 pourrait permettre de considérablement restreindre le réchauffement de la température moyenne globale : de 0,2°C à 0,3°C à l’horizon 2100. Si cela peut paraître peu, ce chiffre est à mettre en perspective avec l’augmentation de la température moyenne globale actuelle : on considère que, depuis le début de l’ère industrielle, la hausse de cette température a atteint +1,1°C (en 2017). La baisse des émissions chinoises sera alors liée à la plus importante réduction de l’effet de serre (et de fait, de l’augmentation de la température moyenne globale associée) calculée pour un pays.
Cela fait de cette annonce de neutralité carbone un premier pas d’importance vers le rehaussement des ambitions prévu pendant la COP26. En effet, cette COP26 constitue une étape clé pour la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris. Le fonctionnement des négociations et de la fixation d’objectifs chiffrés adopté en 2015 s’appuie sur des engagements pays par pays, de manière non contraignante, pour établir une confiance mutuelle. Plutôt que d’imposer aux parties de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques des objectifs sur la base de ce qu’il serait nécessaire d’atteindre (chacun se rejetant alors la faute espérant des objectifs plus faibles et plus faciles à atteindre), l’idée de l’Accord de Paris est de donner à chaque pays ou partie les moyens de construire ses propres engagements. Lors de la COP21, l’ensemble des programmes de chaque pays ne permettait pas de maintenir la hausse de la température moyenne globale en dessous de la limite visée, soit 2°C au-dessus de la température moyenne globale de l’ère préindustrielle. Cependant, il est prévu que tous les 5 ans, chaque pays revoie ses ambitions à la hausse en fonction de son contexte national, pour parvenir à terme à des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre suffisants pour limiter le réchauffement global à 2°C.
Par ailleurs, l’annonce chinoise à la tribune de l’ONU a succédé de quelques semaines à la déclaration de l’Union européenne, qui avait fait savoir en septembre qu’elle présentait à son Parlement un projet de « loi Climat », visant une neutralité carbone d’ici 2050 (loi qui a été votée le 8 octobre 2020). Or, ces deux puissances rassemblent un tiers des émissions de gaz à effet de serre mondiales, expliquant ainsi l’enthousiasme provoqué par la succession (voulue) de telles annonces. Cependant, si les objectifs européens étaient connus de tous, le discours de Xi Jinping à l’ONU, beaucoup plus inattendu, a initié une vague d’engagements que seules les grandes puissances sont en mesure, par leur poids stratégique dans les négociations, de générer : à la suite des engagements chinois, le premier ministre japonais Yoshihide Suga, puis le président sud-coréen Moon Jae-in, à quelques jours l’un de l’autre, ont également affirmé vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 dans leurs pays respectifs. Cette vague d’engagements ambitieux laissent espérer que, mis côte à côte, ils permettent de limiter suffisamment les émissions pour maintenir une température moyenne globale où l’homme puisse continuer à prospérer.
Pour atteindre ce supra-objectif, la confiance, mais aussi la collaboration, sont cruciales. Le rapprochement entre la France et la Chine pour porter les couleurs du climat et de la biodiversité dans les instances internationales constitue un symbole fort. Le 6 novembre 2019, l’Appel de Beijing sur la conservation de la biodiversité et le changement climatique a associé les signatures des présidents Emmanuel Macron et Xi Jinping. Ce texte souligne une volonté d’agir de concert vers une protection plus stricte de la biodiversité de certaines zones, vers la diminution des émissions de gaz à effet de serre globaux et le respect des engagements climatiques internationaux. Il permet à la France comme à la Chine de démontrer leur leadership sur ces thématiques globales. Ce texte, tout comme les récentes annonces chinoises, s’inscrivent dans la stratégie ou le concept de « civilisation écologique » développé par la Chine au début de la décennie. En adoptant pour vision un nouveau système, notamment vers plus d’efficacité énergétique ou encore moins de dépendances aux hydrocarbures, la Chine se donne les moyens de voir son économie continuer à croître dans un monde aux contraintes climatiques fortes. Cela lui permettra également de réduire sa dépendance stratégique vis-à-vis des pays fournisseurs d’hydrocarbures, de se positionner comme le secteur le plus avancé en matière d’électrification des transports ou de financer plus facilement les immenses projets de centrales nucléaires civiles en construction ou en projet. Cela répond également à une demande de la population de respirer un air moins pollué et de vivre de manière plus saine.
À la suite de l’annonce de Xi Jinping, de nombreux observateurs ont souligné le défi que va représenter pour la Chine l’atteinte d’une telle neutralité carbone. Si le pays est fortement émetteur de gaz à effet de serre, c’est notamment parce que le charbon est sa principale source d’énergie dans certaines zones. En juillet 2020, de nouvelles centrales à charbon étaient encore en construction et en projet. En prenant cet engagement, la Chine s’oblige envers ses citoyens et ceux des autres pays : la moitié de l’énergie produite par les centrales à charbon dans le monde est chinoise, la fermeture progressive des centrales aurait donc des effets positifs pour lutter contre les changements climatiques mais aussi contre la pollution de l’air à l’échelle planétaire. Quelles que soient les mesures mises en place pour réaliser cette baisse des émissions, nous en saurons plus lors de la publication du XIVe Plan quinquennal.
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