Un projet de barrage hydroélectrique au Tibet menacé par la fonte des glaciers

par Stephen Chen pour South China Morning Post, le 28 avril 2021

Le changement climatique rend peut-être le toit du monde plus vivable, mais cette chaleur s'accompagne d'un risque accru de catastrophes naturelles. En 2018, un glissement de terrain a causé un efffondrement de glace dans le Yarlung Tsangpo sur le site proposé pour une nouvelle centrale hydroélectrique. Le barrage géant devrait produire trois fois plus d'électricité que celui des Trois Gorges, ce qui suscite des craintes chez les écologistes chinois et dans l'Inde voisine.

 Le grand canyon de Yarlung Tsangpo, dans la région autonome du Tibet, dans l'ouest de la Chine. Photo : AFP
Le grand canyon de Yarlung Tsangpo, dans la région autonome du Tibet, dans l'ouest de la Chine. Photo : AFP

 

Le Yarlung Tsangpo est le plus long fleuve du Tibet, et celui qui offre le plus grand dénivelé. Dans le sud du Tibet, se situe la vallée la plus profonde du monde, avec une chute de 7 000 mètres entre le sommet le plus élevé et le bassin le plus bas.La Chine prévoit de construire une centrale hydroélectrique dans cette vallée. Sa production d'électricité atteindrait 70 gigawatts, soit environ trois fois celle du barrage des Trois Gorges. Le projet a été approuvé par le gouvernement central l'année dernière et a été inclu au 14ème plan quinquennal dont l'échéance est fixée à 2035.

Mais un obstacle crucial pourrait mettre un terme à une grande partie du projet. En 2018, un glissement de terrain provoqué par la fonte d'un glacier a bloqué le Yarlung Tsangpo - le cours supérieur du fleuve Brahmapoutre - au niveau du bassin de Sedongpu, dans le comté de Milin. Le glacier a formé un lac contenant environ 600 millions de mètres cubes d'eau, ce qui a mis en péril le bassin de Sedongpu qui risque de s'effondrer à tout moment.Le bassin de Sedongpu se trouve à quelques dizaines de kilomètres en amont du site prévu pour la construction de la centrale hydroélectrique géante. Mais avec une telle quantité d'eau en amont, aucun travailleur de la construction ne veut se déplacer pour déblayer le terrain. Pour construire le grand barrage de la centrale, il faudrait d'abord se débarrasser de l'eau récoltée par le glissement de terrain dans le bassin de Sedongpu.Plusieurs équipes de scientifiques et d'ingénieurs se sont rendues à Sedongpu choisis parmi les meilleurs ingénieurs et experts en étude des glaciers et en prévention des glissements de terrain. Ils ont recueilli une grande quantité de données sur le site à l'aide de drones et d'autres équipements de pointe et ont été invités par les autorités à proposer une solution.

"La situation est très difficile. Il n'y a pas encore de solution immédiate", a déclaré Xing Aiguo, professeur d'ingénierie civile à l'université Jiao Tong de Shanghai, qui a participé à l'une des études. Les experts n'ont pas trouvé le moyen de renforcer le bassin du glissement de terrain ou de retirer l'eau en toute sécurité. Pire encore, ils ont constaté que des catastrophes similaires risquaient de se reproduire dans la même région, en raison du changement climatique.

"La région est vaste et il y a de nombreux glaciers", a déclaré M. Xing. Même s'il existe une méthode, transformer un paysage naturel aussi rude avec des méthodes d'ingénierie pourrait être techniquement difficile et coûteux, a-t-il ajouté.

http://tibetdoc.org/index.php/environnement/geographie/225-le-canyon-le-plus-profond-du-monde
http://tibetdoc.org/index.php/environnement/geographie/225-le-canyon-le-plus-profond-du-monde

 

Un quart des glaciers du plateau tibétain ont disparu depuis les années 1970, et deux tiers de ceux qui restent auront disparu d'ici la fin du siècle, selon une estimation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies.

Des études ont montré que l'augmentation des eaux de fonte et la hausse des températures pourraient rendre le "toit du monde" plus habitable grâce à de meilleurs rendements agricoles et à l'avancée des lignes d'arbres, mais le risque de catastrophes naturelles, notamment d'inondations et de glissements de terrain, a également augmenté.

La glace peut aussi transformer un glissement de terrain en quelque chose de plus destructeur. À Sedongpu, par exemple, les débris glacés ont parcouru plus de 10 km à une vitesse maximale de 72 km/h, selon une estimation de la station de surveillance géologique de l'environnement de la région autonome du Tibet.

La galce a fragilisé le bassin de Sedongpu et l'a rendu plus susceptible de s'effondrer. L'importance du dénivelé accroit le risque de causer de graves dégâts en aval même avec une quantité d'eau plus réduite que celle qui se trouve actuellement dans le bassin.

Liu Chuanzheng, un chercheur gouvernemental du Centre consultatif d'atténuation des géorisques du ministère des Ressources naturelles à Pékin, a déclaré que toute activité humaine dans la zone de Sedongpu "devrait être totalement évitée".

"Le développement et l'utilisation des ressources naturelles et de l'énergie du fleuve Yarlung Tsangpo doivent tenir compte de la situation envirronementale, des avalanches et des coulées de débris dans la vallée de Sedongpu sont toujours à craindre", a-t-il déclaré dans un rapport officiel sur le glissement de terrain publié dans la revue Geology in China en 2019.

Certains scientifiques chinois ont proposé qu'au lieu de construire un barrage géant, on creuse un tunnel de 16 km de long à travers l'une des hautes montagnes de la vallée du Yarlung Tsangpo. L'eau pourrait être dirigée dans le tunnel pour actionner des turbines génératrices d'électricité. Ce projet réduirait la production d'électricité à 50 GW, soit environ le double de celle du barrage des Trois Gorges, mais réduirait le risque de dommages causés par des glissements de terrain ou d'autres catastrophes naturelles.

Le projet chinois du barrage géant sur le Yarlung Tsangpo a suscité des protestations de la part de l'Inde, qui se trouve directement en aval. Une vaste zone du sud du Tibet reste contestée par la Chine et l'Inde. L'Inde craint que la Chine n'utilise le barrage pour couper l'approvisionnement en eau dont l'Inde a tant besoin et fasse pression pour s'appropier ce territoire.

En guise de contre-mesure, le gouvernement indien prévoit de construire un barrage de 10 GW dans la zone qu'il contrôle. Des scientifiques indiens ont déclaré aux médias locaux que le coût environnemental de la réponse "barrage contre barrage" dans la région serait extrêmement élevé et que le gouvernement indien devrait attendre de savoir plus clairement ce que feront ses homologues chinois avant d'agir.

 

URL de l'article en anglais:  https://www.scmp.com/news/china/science/article/3131321/melting-glaciers-threaten-chinas-plan-build-worlds-biggest