Une absence remarquée à la COP26, celle de Xi Jinping
par Élisabeth Martens, le 28 octobre 2021
À trois jours de l'ouverture de la COP26 qui se tient à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre, l'absence du premier chinois s'avère de plus en plus certaine. Faut-il en imputer la politique drastique du « zéro Covid » menée dans son pays ou un climat d'hostilité envers la Chine qui est partagé par une grande majorité des pays occidentaux et qui n'a fait que s'accentuer depuis le début de la pandémie?
Pas de réponse claire à cette question, et finalement peu importe les raisons du président chinois à ne pas participer à cette grand-messe pour le climat. On peut toutefois s'étonner du fait que la COP15 sur la biodiversité dont la première partie vient de se terminer n'ait reçu que très peu d'échos dans la presse occidentale. Serait-ce parce qu'elle s'est tenue à Kunming, capitale du Yunnan, et se tiendra également à Kunming pour sa seconde partie au printemps prochain? Ce qui se passe dans le « pays du milieu » n'intéresse notre monde médiatique que s'il peut se délecter de l'un ou l'autre scandale. D'ailleurs, qu'attendre du « pire pollueur de la planète » quand il s'agit d'agir pour le climat?
Et pourtant, depuis ses premiers engagements internationaux, la Chine mène une bataille acharnée pour diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Inutile de rappeler que si la Chine est effectivement le plus grand pollueur de la planète en valeur absolue, elle l'est encore deux fois moins par habitant que les USA et que la plupart des pays européens. La Chine a ainsi investi plus de 100 milliards US$ par an pour répondre aux normes conclues durant l'Accord de Paris en 2015. De 2017 à 2020, elle a même dépensé 360 milliards US$ dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La Chine est tout à fait consciente de son poids dans la lutte contre le réchauffement climatique et partage la volonté du « Global net zéro » pour 2050 indispensable à atteindre afin de ne pas dépasser le 1,5°Celsius de réchauffement global. L'absence de Xi Jinping à la COP26 ne signifie en rien qu'il se retire de ses engagements, ni de celui du « pic de carbone » en 2030, ni de celui du « zéro carbone » en 2060.
Le charbon, et ses alternatives
Le grand reproche fait à la Chine au niveau environnemental est de continuer à faire tourner ses centrales électriques au charbon. Le charbon pourvoit à encore 60% de toute l'énergie du pays, c'est énorme et c'est très polluant. Son sous-sol regorge de charbon et les énergies alternatives ne sont pas encore suffisantes pour palier l'arrêt définitif de toutes les centrales. Durant la COP15-biodiversité, Xi Jinping a déclaré que des mesures concrètes étaient prises pour diminuer le nombre de centrales les plus polluantes et pour assainir celles qui doivent rester encore en fonctionnement, faute de graves pénuries d'électricité.
« La Chine a intégré cet objectif dans la construction d'un avenir écologique, un plan d'action visant à atteindre le pic des émissions de carbone à l'horizon 2030 est en cours. » Il a ajouté: « Au cours de la période du 14ème plan quinquennal (2021-2025), nous contrôlerons strictement la croissance de la consommation de charbon et nous la réduirons progressivement au cours de la période du 15ème plan quinquennal ».
Les moyens mis en œuvre pour remplacer le charbon sont colossaux. Ils touchent principalement à l'éolien, au solaire, à l'hydraulique et au nucléaire.
La Chine est devenue le numéro un au niveau mondial dans la construction des éoliennes et dans l’énergie fournie par les parcs éoliens. Ces parcs gigantesques sont distribués sur le haut plateau tibétain et dans les déserts et, offshore, en Mer de Chine. Elle est aussi numéro un mondial dans les fermes solaires et développe actuellement le projet futuriste d'envoyer une gigantesque ferme solaire en orbite autour de la terre pour fournir de l'énergie à toute l'humanité (ce projet qui semble un peu fou existe aussi au Japon et aux USA).
La Chine est le « pays de l'eau », elle peut compter sur une énergie hydraulique inépuisable. Cependant, le gigantisme de ses barrages est fortement décrié car il laisse supposer des dommages irréversibles au niveau de l'écologie des fleuves et des rivières concernés, sans parler des déplacements de population qu'ils impliquent. Ces méga-barrages font oublier la multitude de petits barrages qui produisent de l'électricité locale. On en dénombre 22.000 en Chine actuellement, quasi la moitié de la totalité des barrages existant dans le monde ; ils produisent 27,2% d'énergie hydraulique sur le total mondial.
L'énergie nucléaire est tout aussi controversée que les méga-barrages, bien que le GIEC y voit une transition possible vers un cocktail d'énergies vertes. La Chine n'en est qu'à ses débuts dans le nucléaire (sa première centrale s'est ouverte dans les années 1990), mais elle a déjà mis en œuvre des centrales nucléaires dites « propres », qui fonctionnent au thorium et non à l'uranium. Ses travaux de recherche se focalisent actuellement sur la fusion nucléaire pour laquelle il n'existe plus du tout de déchets, donc plus d'enfouissements radioactifs (encore un projet qui paraît sorti des alambics du docteur Folamour mais dont on parle chez nous depuis les années 1960).
Les avancées technologiques sont fulgurantes en Chine qui se voit prendre le leadership des innovations énergétiques. Les investissements suivent, le gouvernement ne lésine pas sur le financement à la recherche et au développement (R&D). Aux recherches sur le nucléaires et sur les énergies vertes les mieux connues, on peut ajouter celles sur la capture et le stockage du carbone, celles sur une meilleure utilisation du géothermique, celles sur les piles à hydrogène pour le parc automobile, etc.
Petit rappel historique
Si la Chine a accéléré ses contributions à l'effort international pour arriver au « Global net zéro », c'est aussi parce qu'elle s'est alarmée au lendemain d'un hiver particulièrement pénible. C'était en janvier 2013, Pékin s'était entièrement dissimulée sous un nuage de particules fines qui empêchait les automobilistes d’apercevoir les feux rouges, les enfants de respirer, les vieux de sortir pour leur promenade quotidienne dans le parc de BeiHai. Cet hiver fut un électrochoc, tant pour les autorités que pour les citoyens.
Xi Jinping était aux manettes depuis environ un an quand cela s'est produit. Il a eu une réaction aussi judicieuse qu'audacieuse. Il a appelé les scientifiques à lui fournir des rapports détaillés quant à l'état de santé de son immense pays. Tout devait être diagnostiqué : pollution de l'air dans les mégapoles et les centres urbains proches des industries, pollution de l'eau des fleuves et des rivières au bord desquelles s'alignent des industries textiles, pétrochimiques, des cimenteries et autres, pollution des sols gangrenés par les engrais et les pesticides, bref, il a exigé un inventaire détaillé sur les dégâts causés par les époques précédentes, celle de Mao et celle de Deng Xiaoping, et l'a rendu public.
En 1949, quand Mao est arrivé à la présidence du pays, la Chine était essentiellement agraire, 90% de la population travaillait aux champs. Il a voulu que la Chine rattrape les « pays développés », ceci en ne comptant que sur ses propres capacités. Il a alors engagé la Chine dans une course à l'industrie lourde, extrêmement polluante. Puis Deng Xiaoping, fin des années 1980, a proclamé que désormais la Chine allait se mettre au pas du « xiao kang ». On a traduit cela chez nous par : « le Petit timonier appelle son peuple à s’enrichir ! », alors que « xiao kang » signifie « aisance modeste ». Il voulait que les plus démunis soient tirés vers le haut, et agrandir ainsi une classe moyenne, d'où un développement économique accéléré qui fut tout sauf une réussite écologique. On peut toutefois rappeler que grâce à la présidence des Grand et Petit timoniers, ce sont 800 millions de personnes qui sont sorties de la pauvreté en à peine 40 ans.
En 2012, ce fut le tour de Xi Jinping. Il a compris que la société civile ne lui laisserait pas passer l'électrochoc de janvier 2013. Celui-ci a d'ailleurs connu plusieurs piqûres de rappel, à Pékin même, mais aussi à Shanghai avec les 2700 cochons crevés jetés dans le canal, dans le Henan avec une rivière qui a viré au rouge-sang après des déversements d'une usine textile, dans le Zhejiang avec les villages-cancer, etc., le « pays de l'harmonie céleste » ne manque pas d'exemples particulièrement trash ! Le président Xi s'est senti poussé dans le dos par un public de plus en plus scandalisé des injures faites à son environnement et inquiet pour l'avenir.
Appel à la société civile
Il eut alors l'intelligence d'impliquer la société civile dans la lutte contre la pollution. Il a ouvert des applications sur les réseaux sociaux (wechat, weibo, kuku, etc.) qui ont permis aux citoyens d'intervenir directement dans cette lutte en partageant leurs avis, en proposant des solutions locales, en lançant des alertes, en signalant la pollution soudaine d'une rivière, en dénonçant des usines, en se plaignant d'un taux anormalement élevé de maladies dans un village, etc.
Certains militants et activistes chinois se sont regroupés et ont constitué des ONG pro-climat, ou de protection de la Nature, ou de défense des espèces menacées, etc. Ces ONG ont été immédiatement soutenues par le Ministère de l'environnement. Il n'est pas rare qu'elles obtiennent gain de cause, par exemple, en 2017, quand l'ONG « Friends of Nature » a réussi à faire suspendre le projet de construction d'une centrale hydroélectrique qui menaçait le biotope du paon spicifère, une espèce en voie de disparition.
Les civils se sont sentis de plus en plus impliqués dans le « programme vert » du président Xi. Il l'a intitulé la « construction d'une nouvelle civilisation écologique », des termes ajoutés à la Constitution chinoise en 2018 et qui réunit une très large majorité de la société civile autour d'un objectif commun. La confiance dans les choix écologiques du gouvernement de Xi Jinping, mais aussi dans ses choix de société et ses décisions politiques a atteint 90% de la société, un record mondial !
Une économie résolument socialiste
Dans le modèle proposé par Xi Jinping, les deux jambes du renouveau sont l'économie et l'écologie. L'économie chinoise reste résolument socialiste, c'est-à-dire une économie planifiée à moyen et long termes (basés sur les plans quinquennaux). Elle ne ressemble en rien à l'économie capitaliste qui mène les pays occidentaux par le bout du nez, où le court terme prédomine, où les résultats doivent être immédiats et, par conséquent, où les marchés sont particulièrement volatiles. La presse occidentale s'empressera de rappeler que la Chine est elle aussi « vilainement capitaliste ». En effet, sa vitrine semble le prouver, mais la Chine a toujours gardé le contrôle sur sa croissance économique afin qu'elle ne s'emballe pas comme un cheval sauvage.
Dernièrement, sous le gouvernement de Xi Jinping, la politique chinoise s'est réaffirmée communiste, rappelant que son développement se fera sur des acquis socialistes. Cela ne fut pas pour plaire à l'Occident qui a ressorti ses chevaux de bataille. « Droits de l'homme », « liberté de parole », « liberté individuelle » sont les chevaux gagnants d'un scénario à la « 1984 » selon lequel Big Brother Xi a placé des caméras à reconnaissance faciale à tous les coins de rue, il distribue des bons points aux bons élèves et les autres sont pénalisés, les applications sur réseaux sociaux mis en place pour inciter les gens à participer à la lutte contre les pollutions ne sont là que pour les ficher, etc.
Ces arguments ne tiennent pas compte du fait que les « droits de l'homme » sont avant tout les droits élémentaires des êtres humains : manger, se loger, se vêtir, se soigner, s'éduquer, passent avant les autres. Ce sont ces droits élémentaires auxquels la jeune RPC s'est efforcée de répondre, et elle a réussi le coup de force de sortir 800 millions de personnes de la pauvreté. Les arguments de notre « presse bien pensante » ne tiennent pas compte non plus d'une densité de population très élevée : elle s'élève à 150 habitants au km² en moyenne, mais peut atteindre 13.400 au km² dans des mégapoles comme Shanghai. Cela donne lieu à une mentalité bien différente de la nôtre : en Chine, le bien-être commun et la paix sociale sont ressentis comme beaucoup plus précieux que les droits ou libertés individuelles.
Les Chinois ne se plaignent pas d'un « Big Brother Xi » imaginé par nous, sinon, comment expliquer que plus de 90% de la population adhère aux décisions prises par Pékin ? Les initiatives gouvernementales ont des répercussions évidentes, significatives, visibles : les villes s'embellissent, des parcs et des jardins apparaissent, les fumées des usines sont moins noires, la qualité de l'eau s'est améliorée, des forêts sont replantées, les moyens de locomotion se transforment, etc., même si c'est loin d'être rose bonbon de nord au sud et d'est en ouest et que la Chine est encore le plus gros pollueur de la planète. Les contradictions ont toujours été un moteur d'évolution en Chine et, actuellement, ce sont les centrales à charbon qui servent de moteur à évoluer vers des énergies alternatives !
Par ailleurs, une législation profuse s’est mise en place en matière d'écologie. Des lois sont promulguées limitant la pollution à un taux à ne pas dépasser sous peine de fermeture de la centrale ou de l'usine, avec amendes ou même incarcération à la clef. Des mesures sont prises pour limiter le nombre de véhicules polluant grâce à la distribution de primes à l’achat de voitures électriques. D'autres lois concernent la protection des espèces menacées, le contrôle du commerce des espèces sauvages. Des mesures sont prises pour le reboisement de zones désertiques, la réhabilitation des zones humides, l'ouverture de parcs nationaux (ils couvrent 18% du territoire maintenant, ce qui permet de compenser les grandes incendies de forêts ailleurs dans le monde), la réduction des pesticides et des engrais dans l'agriculture, le recyclage des déchets, etc.
Mais un des gros problèmes de la Chine est son immensité. Si des lois et des mesures sont prises par le comité central, comment garantir qu'elles seront appliquées à des milliers de kilomètres de Pékin ? Pour cela, le gouvernement a inventé des dispositifs de contrôle et de rétro-contrôle. Par exemple, chaque province doit observer une « ligne rouge » qu'elle s'est elle-même tracée. Il s'agit d'un indicateur de pollution qui vire au rouge dès que les chiffres de production s'emballent et que le développement économique commence à menacer l'environnement. C’est comme si la Chine s'était dit : « stop au développement économique tous azimuts ; maintenant, il s'agit de préserver la qualité de vie et il dépend de la santé de l'environnement. » Ce discours est devenu le discours officiel des autorités à un niveau national, provincial et des districts. Il est aussi devenu le discours des citoyens : un aller-retour de « haut » en « bas » qui favorise la confiance des uns et des autres.
Quelle juste place donner à l'humanité ?
En Occident, nous sommes très manichéens, c'est « positif » ou « négatif » et, entre les deux, c'est un « no man's land » infréquentable. Or les alternatives proposées par nos pays « développés » et défendus dans les COP et autres sommets sur le climat, sur la biodiversité, sur l'environnement, sur les énergies vertes et le développement durables ne sont que de deux types. On choisit un camp ou l'autre, sans imaginer qu'il y ait d'autres possibles.
Soit on opte pour un « capitalisme vert » dont voit de plus en plus d'applications autour de nous, comme des banques éthiques, des chaînes alimentaires bio, des investissements privés dans l'éolien ou le solaire, etc. Cette option du capitalisme vert ne remet nullement en question le fonctionnement de notre système, ce sont toujours les plus compétitifs, les plus rapides, les plus mordants qui prendront le dessus, et « les petits poissons qui se font manger par les gros ». Que l'on produise du vert et du bio ou non, cela ne changera pas le système capitaliste, or c'est exactement lui qui nous a mené vers le désastre écologique.
Soit on se tourne vers une « décroissance économique », on prône un retour vers le « bon vieux temps » machicotant une nostalgie pour une ère pré-capitaliste où tout allait beaucoup mieux. Cette option implique un discours malsain de culpabilisation visant les 99% de quidam qui « détruisent la planète » par leur consommation effrénée. Seul les 1% restant sont conscients de l'urgence climatique et agissent avec héroïsme pour sauver la planète.
La « civilisation écologique » prônée par la Chine ne rentre ni dans l'un ni dans l'autre de ces schémas. Son économie s'est peu à peu éloigné des tentations capitalistes qui l'avaient titillée suite à l'appel « xiao kang » de Deng Xiaoping. Avec le renouveau du président Xi, elle revient vers un modèle socialiste en même temps qu'elle s'accompagne d'un travail de fond, une réflexion philosophique sur la place de l'humain dans le monde vivant, car il ne faut pas se leurrer, la présence de l'humain a profondément modifié les écosystèmes planétaires. Il n'est pas possible de faire marche arrière, mais il est de l'intérêt de tous de construire un nouveau modèle de société, non plus contre le vivant, mais en synergie avec le vivant, une cohabitation harmonieuse avec la nature.
Cela demandera une réorganisation à long terme, un changement profond qui n'aura pas de résultats immédiats, même s'il tient compte du réchauffement de la planète et qu'il vise le « Global Net zéro » pour 2050. C'est une transformation lente de l'humanité dans laquelle la Chine s'est engagée, un travail collectif auquel toute l'humanité est conviée, qui engage la volonté de tous, autorités, citoyens et scientifiques pour que l'humain reprenne sa « juste place entre ciel et terre », comme le dit le taoïsme.