La Chine industrialise la désalinisation de glace de mer
par Élisabeth Martens, le 22 avril 2017
Au début de l'année 2014, l’Université normale de Beijing et la Beijing Huahaideyuan Technology Co ont signé un accord de transfert de technologie de désalinisation de glace de mer. La Chine s’apprêtait à produire une grande quantité d’eau douce par désalinisation de glace de mer.
La Chine doit faire face à de régulières pénuries d'eau douce. Avec une superficie de 9,6 millions de kilomètres carrés, elle dispose de ressources en eau considérables en volume absolu. Mais, compte tenu de l’importance de sa population (environ 1,3 milliard d’habitants), les disponibilités per capita s’avèrent très limitées. La répartition inégale des ressources en eau dans l’espace et le temps, et par rapport à la population et aux terres cultivées, pose actuellement de grands problèmes pour le développement durable du pays. De plus, la pénurie d’eau dans les villes chinoises est de plus en plus marquée, notamment en Chine du Nord, par exemple dans la ville de Pékin.
Dans le monde, ce sont entre 1,5 et 2 milliards de personnes qui vivent dans des régions où, du moins pendant une partie de l'année, l'eau douce disponible ne suffit pas face à la demande. Un demi-milliard de personnes est même concerné tout le temps, selon l'Organisation des Nations unies (ONU). Depuis les années 60, une solution s'est donc progressivement imposée : le dessalement, notamment de l'eau de mer. Il est aujourd'hui pratiqué dans 15.906 usines répandues dans 177 pays. Le processus, essentiellement fondé sur la distillation ou l'osmose inverse, devient en effet de moins en moins cher grâce au développement de nouvelles technologies.
Les capacités de production actuelles atteignent les 95 millions de mètres cubes par jour, dont presque la moitié est concentrée au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, notamment en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unies et au Koweït. Dans huit pays -Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, Bahreïn, le Koweït, les Maldives, Malte, le Qatar et Singapour -, le dessalement permet même de répondre à l'ensemble des besoins nationaux en eau potable. Dans six autres - les Barbados, le Cap Vert, les Émirats arabes unis, la Guinée équatoriale, Oman et les Seychelles - il en couvre la moitié.
Ce caractère de plus en plus incontournable du dessalement d'eau de mer constitue toutefois un danger croissant pour l'environnement, souligne une étude menée par des chercheurs canadiens, coréens et néerlandais pour l'ONU. Non seulement le processus de dessalement est extrêmement énergivore - bien que de plus en plus souvent alimenté par des énergies renouvelables ou de récupération. Mais en plus, à son issue, il y a la saumure, à savoir de l'eau chaude très concentrée en sel et autres minéraux. En moyenne, la production d'un litre d'eau potable implique celle de 1,5 litre de saumure - "bien que les valeurs varient considérablement, en fonction de la salinité de l'eau d'alimentation et de la technologie de dessalement utilisée, ainsi que des conditions locales", précise l'étude.
Au niveau mondial, 142 millions de mètres cubes de saumure sont donc rejetés chaque jour par les usines de dessalement : 51,8 milliards de mètres cubes par an, assez pour couvrir la Floride d'une épaisseur de 30,5 centimètres, ont calculé les chercheurs. En raison d'une large utilisation de l'eau de mer et de technologies de dessalement thermique, la production de 55% de cette saumure est d'ailleurs concentrée en quatre pays : l'Arabie saoudite (22%), les Émirats arabes unis (20.2%), le Koweït (6.6%) et le Qatar (5.8%).
80% de la saumure étant produite dans un rayon de 10 kilomètres d'un littoral, elle est le plus souvent rejetée en mer, parfois sans dilution ou traitement. Or, sa « salinité élevée », ainsi que la « réduction des niveaux d'oxygène dissous » dans les eaux réceptrices qui en résulte, « peuvent avoir de profondes répercussions sur les organismes vivant au fond des eaux, ce qui peut se traduire par des effets écologiques observables tout au long de la chaîne alimentaire », s'inquiètent les auteurs de l'étude. Ils évoquent également des risques majeurs liés à la présence dans la saumure rejetée de produits chimiques toxiques, utilisés comme agents détartrants et nettoyants dans le processus de dessalement (du cuivre et du chlore notamment).
Tout en reconnaissant « le besoin urgent de rendre les technologies de dessalement moins chères et de les étendre à des pays à faibles revenus » - aujourd'hui deux tiers des usines sont, en effet, situées dans des pays à hauts revenus -, les auteurs de l'étude appellent donc à une « amélioration des stratégies de gestion de la saumure », notamment dans un contexte où le recours au dessalement de l'eau de mer est destiné à encore croître.
Ils soulignent notamment que loin de constituer seulement un déchet, la saumure, dont la gestion « peut représenter jusqu'à 33% des coûts d'une usine » et est « l'un des principaux obstacles » au développement du dessalement, a le potentiel de devenir une ressource. Elle peut notamment être utilisée en aquaculture, « avec une augmentation de la biomasse de poisson de 300% » ou en faisant attention au risque d'une salinisation progressive des terres, pour l'irrigation des plantes tolérantes au sel : notamment l'algue spiruline, largement vendue comme complément alimentaire, ou des arbustes fourragers. La saumure peut également être une source de production de l'électricité, et est une "mine" de magnésium, gypse, chlorure de sodium, calcium, potassium, chlore, brome, lithium, bore, strontium, rubidium, uranium etc.
Un milliard de mètres cubes d’eau douce
Pour la Chine, le dessalement de l'eau de mer est devenu une nécessité vitale. En effet, si la population chinoise représente environ 20% de la population mondiale, le pays ne dispose que de 7% des ressources en eau douce de la planète. Le dessalement est ainsi devenu une solution opérationnelle et stratégique pour le gouvernement central chinois. Mais les scientifiques chinois ont trouvé mieux.
Entre début janvier et mi-mars de cette année, la mer de Bohai a été frappée par les pires glaces depuis 30 ans. La glace formée sur la mer fut perçue comme une catastrophe par la population, mais elle a attiré l'attention des scientifiques chinois qui y ont vu une précieuse ressource alternative pour produire de l'eau douce. La salinité de la glace de mer est comprise entre 0,4% et 0,8%, bien en dessous de celle des eaux de mer, qui se situe entre 2,8% et 3,1%, ce qui a donné l'idée au professeur Shi Peijun de l’Université normale de Beijing de se tourner vers le procédé de désalinisation des glaces de mer.
Les recherches menées par les scientifiques chinois montraient la faisabilité des technologies chinoises de désalinisation des glaces de mer pour une production de masse. "La salinité de l'eau de mer dans la baie de Bohai est de 3200 mg/L. Cependant, lorsque l'eau est gelée, ce taux chute à 600-800 mg/L. Nos équipements peuvent encore réduire la salinité", a déclaré Gu Wei, professeur à l'Université Normale de Beijing. Après désalinisation, la salinité de l'eau est réduite jusqu'à 0,1%, ce qui répond aux normes nationales. L’eau pourra être utilisée dans l’agriculture, l’industrie et même en tant qu’eau potable. En effet, "la salinité de la glace de mer dessalée peut atteindre 150 mg/L, pour un rendement de 5 tonnes de glace de mer par heure, réalisé sur un équipement de laboratoire. Le résultat est sur un pied d'égalité avec les niveaux de sel dans de nombreuses rivières de la Chine", a déclaré Chen Weibin, un des chercheurs du programme de désalinisation de la glace de mer.
Le projet qui avait déjà été proposé en 1996 a reçu un total de 29,72 millions de yuans (4,88 millions de dollars) de divers départements gouvernementaux au cours des 20 dernières années. La société d'exploitation menée conjointement par l’Université normale de Beijing et la Beijing Huahaideyuan Technology Co devrait fournir au moins un milliard de mètres cubes d’eau douce par an d’ici 2023, a indiqué Yu Jian, président directeur de la société, "elle pourrait ainsi aider atténuer la pénurie d’eau autour de la région de la baie Pan-Bohai dans le nord de la Chine".
Sources: