La sieste au travail, inscrite dans la Constitution chinoise

 par Elisabeth Martens , le 16 août 2020

20 minutes de " 午睡觉- Wǔ shuìjiào", littéralement, le "sommeil de midi", la sieste au travail est inscrite dans la Constitution chinoise.

 

En Chine, en début d’après-midi, il vaut mieux ne pas avoir programmé un rendez-vous avec des collègues ou avec des amis, ni se présenter au guichet d’une quelconque administration, car on est certain de trouver de nombreuses personnes affalées sur leurs tables en train de dormir. Certains ont amené leur petit coussin gonflable, d'autres se couvrent la tête d'un essuie, les triporteurs se tiennent en équilibre entre selle et guidon, les ouvriers s'étendent dans le bac de la pelleteuse, les cheminots sur la voie ferrée, les écoliers sur leur banc.

 

L’origine de cette véritable institution se trouve dans la Constitution chinoise elle-même : l’article 43 prévoit qu’un temps de repos est autorisé pour les travailleurs. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la Chine est un pays qui a fait de la sieste un droit constitutionnel ! Et les Chinois y sont très attachés. Si un patron cherche à la faire interdire, il court un risque de grèves ou de manifestations. La loi autorisant le repos pendant le travail date de la proclamation de la République populaire en 1949. Elle précise que des installations doivent être mises à la disposition des travailleurs sur leur lieu de travail.

L’importance de la sieste en Chine a pour origine une conception particulière du travail et du repos. En Occident, un employé qui dort ou se repose sur son lieu de travail n’est pas un bon employé : il ne travaille pas alors qu’il est payé pour « faire ses heures ». En Chine, un employé qui travaille trop, ce n’est pas une bonne chose, car il perd son efficacité au bout d’un moment, il faut donc qu’il se repose pour récupérer et reprendre son travail avec plus d'attention.

Cette observation simple met en exergue la différence de conception du travail dans un système capitaliste et socialiste. Le capitalisme vise le rendement immédiat, cela nécessite que le travailleur soit assimilé à une sorte de kleenex : il est utilisé tant qu'il fonctionne à plein rendement, si ce n'est plus le cas, on s'en débarrasse. Il faut qu'il soit au taquet continuellement, ce qui ne lui laisse guère le temps de souffler, d'où le nombre croissant de burn-out et de dépressions liés aux cadences infernales exigées par le système néo-libéral. Dans un système socialiste où l'économie est planifiée et pensée sur du long terme, le rendement n'est pas attendu dans l'immédiat, cela donne aux travailleurs la possibilité de prendre des temps de pause, ce qui est profitable tant pour eux-mêmes que, finalement, pour l'entreprise.

Apparemment certaines grosses sociétés américaines, comme les multinationales installées dans la Silicon Valley, ont compris l'avantage de maintenir éveillée l'attention de leurs employés et de leurs cadres. Elles ont installé des pièces dédiées aux siestes, au repos ou aux séances de méditation dites de "pleine conscience". Elles sont suivies en cela par certaines jeunes start-up. Mais il ne faut pas s'y tromper, ce n'est pas pour autant que ce sociétés virent au socialisme. Au contraire même, elles utilisent des méthodes connues de longue date en Asie, comme le yoga dans le bouddhisme d'où sont issues les pratiques de pleine conscience1, ou comme l'art taoïste de nourrir la vie qui a donné aux Chinois l'habitude de la sieste2, pour améliorer les performances de leurs employés et par conséquent augmenter les bénéfices de l'entreprise.

Or si la Chine a cru bon d'introduire la sieste dans sa Constitution, ce n'est pas tant pour augmenter le rendement des entreprises que pour préserver la santé de sa « Grande famille », le peuple chinois. La conception d'un « slow work » avec repos et siestes intégrés dans les horaires de travail devrait plaire à tous les écologistes dont un des idéaux est de rester en phase avec les rythmes du vivant.

 

 

 A lire :

"l'art de la sieste et de la quiétude", traduit par Hervé collet et Wingfun Cheng, chez Albin Michel, 2010

Edgar Cabans, Eva Illouz, « Happycratie, comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies », Premier Parallèle, 2018