La longue marche de la Chine vers l'élimination du paludisme : un cas de gestion adaptative
par Duoquan Wang, Xiao-hui Liang, Shenning Lu, Wei Ding, Jing Huang, Xin Wen, Shan Lv, Ning Xiao, Lewis Husain et XiaoNong Zhou, pour Wang et al. Malaria Journal, 9 février 2022
traduit et adapté par Élisabeth Martens, le 23 février 2022
Cet article propose un éclairage sur le long parcours de la Chine vers l'élimination totale du paludisme (ou malaria). Plusieurs études ont déjà été publiées concernant les techniques thérapeutiques utilisées par la Chine dans sa lutte contre cette maladie qui reste la première cause de mortalité au niveau mondial. Nous estimons qu'il est tout aussi important d'examiner la manière dont le gouvernement chinois a soutenu et encouragé une gestion dynamique d'élimination du paludisme sur son territoire.
Dans les années 1950, le paludisme était un véritable fléau en Chine. Il faisait des dizaines de millions de victimes par an, surtout dans les provinces du sud-est. La Chine a alors entrepris un long parcours de lutte contre la malaria. Elle est passée par des phases de contrôle et d'élimination au niveau local pour enfin arriver à éradiquer totalement la maladie. Dans cette lutte, 2021 fut une année charnière pour la Chine: c'est la première fois que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a certifié qu'une nation du Pacifique occidental est exempt de paludisme depuis plus de trois ans (2).
La Chine rejoint ainsi les pays qui sont parvenus à éradiquer le paludisme. Dès lors, il est intéressant pour tout le monde – dans et hors Chine – de se pencher sur les facteurs qui ont favorisé l'expérience chinoise et sur ce que celle-ci peut apporter ailleurs dans le monde. Dans ses programmes de coopération internationale en matière de santé, la lutte contre le paludisme est une priorité pour le gouvernement chinois, et pour cause: en 2020, il y eut encore plus de 140 millions de nouvelles infections dans le monde et 400.000 décès, en majorité en Afrique subsaharienne. Or il est fort à craindre que la pandémie de la COVID-19 n'entrave considérablement les efforts de contrôle et d'élimination du paludisme (1).
Dans ce que nous avons pu observer, la réussite de la Chine dans sa lutte contre le paludisme tourne autour de trois axes principaux. Le premier est la capacité d'adaptation et le pragmatisme des politiques de santé qui ont favorisé la mise en œuvre de stratégies alliant les besoins locaux et les impératifs nationaux. Le second est un important apport de subsides qui ont montré la volonté de la Chine de s'investir concrètement dans sa lutte contre les maladies parasitaires, dont le paludisme. Le troisième axe est une collaboration soutenue entre la Chine et le reste du monde en matière de santé publique.
Premier axe de la réussite: capacité d'adaptation et pragmatisme
Qu'est-ce qui sous-tend le succès de la Chine dans l'élimination du paludisme sur son territoire ? S'agit-il simplement d'un "exceptionnalisme chinois" ou est-ce une expérience que la Chine peut partager avec d'autres pays atteints par la malaria ? Nous pensons qu'il faut regarder au-delà des approches purement techniques, qu'il est aussi nécessaire de comprendre la manière dont les systèmes de santé ont été mis en place dans cet immense pays.
La lutte contre le paludisme a beaucoup évolué en Chine. Dès le premier plan national de lutte contre le paludisme en 1956, la politique de santé a été continuellement ajustée aux besoins concrets des populations touchées.. Les approches qui étaient appropriées dans les années 1950 et 1960 dans un pays à faible revenu et à prédominance rurale et agricole, ne l'étaient plus 50 ans plus tard, dans un pays plus riche et de plus en plus urbain présentant un profil de paludisme différent. Chaque période a connu des techniques de lutte adaptées aux conditions du lieu et du moment. La taille du pays et l'évolution de ses conditions de vie - niveaux de développement économique et social, disponibilité des ressources et de l'accès aux soins et aux techniques – ont exigé une souplesse dans les stratégies utilisées.
La politique de santé chinoise a su proposer un éventail de solutions, ceci grâce à une institutionnalisation des soins de santé. Le processus mis en place allait des problématiques locales vers les bureaux nationaux, puis retour vers le terrain. Les risques encourus par les locaux et l'incidence de la pathologie sur les populations ont été évalués de manière continue, les évaluations étaient envoyées à un comité national d'experts qui à son tour avisait le ministère de la Santé. De cette manière, le gouvernement central a réussi à adapter sa stratégie de lutte en fonction du développement de chaque région touchée et enclenchait un retour d'informations aux décideurs politiques locaux. Le réseau national de contrôle et de prévention du paludisme s'est étendu jusqu'aux plus bas niveaux du gouvernement dès les années 1960.
Plusieurs exemples peuvent illustrer ce processus:
- la systématisation d'une étude de l'importance relative de la gestion de l'environnement par rapport aux mesures de protection des personnes exposées (3);
- l'utilisation de mesures de contrôle spécifiques pour réduire l'incidence du paludisme le long de la frontière de la Chine avec le Myanmar et pour traiter les cas de paludisme importés (4);
- la mise en place d'une administration massive de médicaments pour contenir la réapparition du paludisme dans la plaine chinoise de Huang-Huai en 2006 (5);
-et, à partir de 2010, une stratification des stratégies en fonction de l'incidence locale du paludisme qui a permis une mise en œuvre plus adaptée au niveau local.
Deuxième axe de la réussite: les investissements
La lutte contre le paludisme a été subséquemment soutenue par des investissements chinois qui ont facilité la mise en place de centres de santé et d'étude destinés à l'élimination des maladies parasitaires, dont le paludisme (6). L'exemple le plus clair est l'ouverture d'un Institut national des maladies parasitaires (NIPD), et d'un Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies (China Center for Disease Control and Prevention, CDC).L’institutionnalisation de la lutte contre le paludisme a ensuite été incluse dans le travail de l'ensemble des CDC, y compris au niveau de la nation, de la province, de la préfecture, du comté, jusqu'aux niveaux très locaux, c'est-à-dire les villages. Cela a été soutenu par la formation d'un personnel spécialisé (scientifiques et soignants), par le renforcement des capacités (plus de personnel engagé) et, plus récemment, par des systèmes de rapports. Les rapports et le renforcement des capacités ont été cruciaux pour fournir un soutien à de multiples niveaux (7), y compris au niveau local pour la collecte et l'analyse des données. Par ces méthodes, l'expertise technique et l'expérience à la base ont alimenté le développement de stratégies et de politiques adaptées, à un niveau plus large.
Troisième axe de la réussite: une collaboration internationale
Comme dans d'autres domaines, la Chine a tiré parti de sa collaboration avec des agences externes, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, pour développer activement ses systèmes de lutte contre le paludisme (8). Mais si le pays a bénéficié de la coopération internationale pour éliminer le paludisme sur son territoire, il a aussi contribué à cette coopération, d'abord avec les pays voisins d'Asie du Sud-Est, puis avec certains pays d'Afrique.
Cependant, au fur et à mesure que la Chine a progressé dans ses efforts d'élimination du paludisme, la collaboration mondiale en matière de santé a également progressé.
Depuis 2015, le NIPD collabore à un projet de lutte contre le paludisme en Tanzanie. Le "China-UK-Tanzanie" est un projet pilote de lutte contre le paludisme soutenu par le Programme mondial de soutien à la santé Chine-Royaume-Uni (GHSP) et financé par le ministère britannique du Développement international. Ce projet pilote a intégré des éléments de l'expérience chinoise, notamment le test "malaria Reactive Community-based Testing and Response (1,7-mRCTR)". Il s'agit d'une approche adaptable à différents contextes locaux qui utilise les données des établissements de santé et des agents de santé formés localement pour effectuer des tests et des traitements, et signaler rapidement les nouveaux cas de paludisme (9).
C'est le premier projet pilote dans lequel une agence chinoise a collaboré à la mise en œuvre sur le terrain d'un projet de contrôle du paludisme à l'étranger. Il a donné des résultats encourageants, réduisant de 81% le taux de paludisme dans les zones d'intervention (10). Tout aussi important: le projet propose une plateforme d'échange entre une agence technique chinoise et son homologue d'un pays africain pour créer un espace d'apprentissage mutuel.
Conclusion
Puisque l'engagement de la Chine dans le domaine de la santé mondiale s'accroît – pour le paludisme, mais aussi dans d'autres domaines de santé publique -, il est nécessaire d'examiner de près l'expérience du pays à plusieurs niveaux.
Dans la lutte contre la malaria, il y a bien sûr la question du "moyen utilisé": l'expérience de la Chine montre l'importance des approches techniques spécifiques, par exemple, l'utilisation précoce de moustiquaires, une médication appropriée à la région touchée, ou la gestion précise des différentes étapes dans la détection et dans la notification des cas.
Mais comme nous l'avons dit, il y a aussi la question du "comment?" : comment la lutte contre le paludisme et l'élimination du paludisme ont-elles été gérées par la Chine ?
La communauté internationale cherche à comprendre la réussite de la Chine en matière de santé, en particulier dans sa lutte contre les pandémies, entre autres, le paludisme, et à apprendre les méthodes chinoises dans les domaines de la santé publique. Dans cette problématique, la question du "comment ?" s'avère de plus en plus pertinente. L'approche pragmatique, l'adaptation aux conditions locales, la personnalisation des solutions, la contribution des experts, puis la mise en œuvre politique: c'est tout un processus qui doit être mis en œuvre, et ce sur le long terme.
L'élargissement des débats et l'apport de nouvelles perspectives d'étude peuvent contribuer à l'apprentissage mutuel entre les agences chinoises et leurs partenaires à l'étranger et, ainsi, améliorer les résultats dans les domaines de lutte contre les pandémies.
Notes :
1. WHO. World malaria report 2021. Geneva: World Health Organization; 2021.https://cdn.who.int/media/docs/default source/malaria/world
malaria reports/978924004049 eng.pdf?sfvrsn=8f4af712_5&download=
true. Accessed 13 Dec 2021.
2. Qian MB, Li SZ, Zhou XN. After malaria: which parasitic disease will China eliminate next? Nature. 2021;596:189.
3. WHO. Q&A on malaria elimination in China. Geneva: World Health Organi zation; 2021. https://www.who.int/news room/feature stories/detail/q a on malaria elimination in china. Accessed 13 Dec 2021.
4. Yang HL, Baloch Z, Xu JW, Sun XD, Lin ZR, Zhou YW, et al. Malaria: elimination tale from Yunnan Province of China and new challenges for reintroduction. Infect Dis Poverty. 2021;10:101.
5. Zhang HW, Liu Y, Zhang SS, Xu BL, Li WD, Tang JH, et al. Preparation of malaria resurgence in China: case study of vivax malaria re emergence and outbreak in Huang Huai Plain in 2006. Adv Parasitol. 2014;86:205–30.
6. Fen J, Zhou SS. From control to elimination: the historical retrospect of malaria control and prevention in China. Chin J Parasitol Parasit Dis. 2019;37:505–13 (in Chinese).
7. Tang LH, Gao Q. Achievements and experience of malaria control. In: Tang LH, Gao Q, editors. Malaria control and elimination in China. Shanghai: Shanghai Scientific & Technical Publ; 2013.
8. Minghui R, Scano F, Sozi C, Schwartländer B. The Global Fund in China: success beyond the numbers. Lancet Glob Health. 2015;3:e75–7.
9. Mlacha YP, Wang D, Chaki PP, Gavana T, Zhou Z, Michael MG, et al. Effec tiveness of the innovative 1,7 malaria reactive community based testing and response (1, 7 mRCTR) approach on malaria burden reduction in Southeastern Tanzania. Malar J. 2020;19:292.
10. Ma X, Lu S, Wang D, Zhou Z, Feng J, Yan H, et al. China UK Tanzania pilot project on malaria control. China CDC Wkly. 2020;2:820–2.
Source: Wang et al. Malaria Journal (2022) 21:38 https://doi.org/10.1186/s12936-021-04038-w