La migration des antilopes du Tibet
par Élisabeth Martens, le 16 juin 2020
Le 30 avril dernier, 43 antilopes vivant dans la région de Sanjiangyuan au Qinghai ont traversé successivement le chemin de fer Qinghai-Tibet et la route Qinghai-Tibet, migrant vers l'arrière-pays de Hoh Xil pour se diriger vers le lac Zhuonai, leur site de vêlage. La migration des antilopes tibétaines dans la région de Sanjiangyuan a commencé.
Chaque année, en avril et mai, 5000 à 6000 antilopes migrent vers le plus grand lac de la réserve naturelle de Hoh Xil dans le sud-ouest de la province du Qinghai à 4800 mètres d'altitude. Elles viennent du plateau de Changtang dans le nord-ouest du Tibet, de la réserve naturelle de Sanjiangyuan au Qinghai et des montagnes Altun-Tagh au Xinjiang dans l'ouest de la Chine. Elles effectuent un voyage de quelques centaines de kilomètres pour atteindre le lac Zhuonai, leur lieu de vêlage.
La réserve naturelle de Hoh Xil, lieu de vêlage des antilopes
Les sites de mise-bas de Hoh Xil accueillent jusqu’à 30 000 animaux chaque année et constituent près de 80% des zones de regroupement pour le vêlage connues dans toute l’aire de répartition de l’antilope. En hiver, environ 40 000 antilopes du Tibet restent dans la réserve de Hoh Xil, ce qui correspond à 20 à 40% de la population mondiale.
La réserve naturelle de Hoh Xil conserve les habitats et les processus naturels du cycle biologique complet de l’antilope tibétaine, y compris le regroupement des femelles pour la mise-bas après une longue migration. Les antilopes tibétaines s'accouplent en décembre et mettent bas entre fin juin et début juillet. La période de gestation est donc d'environ 200 jours. Une grande variété d'aliments et un environnement relativement sûr sont favorables à l'élevage des jeunes antilopes. Au mois d’août et de septembre, les femelles font le voyage en sens inverse accompagnées de leurs petits.
L'antilope tibétaine est un animal protégé « de première classe au niveau national ». Des programmes de protection ont été mis en place depuis le début des années 2000. Leur habitat s'améliore jour après jour et leur population est en augmentation lente mais continue.
Une population en augmentation continue
Selon George Schaller, biologiste qui étudie l'antilope du Tibet depuis les années 1980 dans le cadre de son travail pour l'organisation à but non lucratif Wildlife Conservation Society, il est difficile de déterminer avec précision la situation des antilopes du Tibet puisque aucun recensement exhaustif n'a jamais été réalisé. Les chiffres avancés ci-dessous sont donc des estimations.
En 2009, la population d'antilopes tibétaines dans et autour de la réserve de Hoh Xil a atteint 70 000 individus, soit 50 000 individus de plus qu'à la fin des années 1990. Leur nombre total est passé de 150.000 têtes en 2006 à 200.000 en 2011.
En 2015, le ministère de la Protection de l'environnement ainsi que l'Académie des sciences de la Chine ont fait passer l'antilope du Tibet de la catégorie "en danger" vers la catégorie "quasi menacée" de la liste rouge des vertébrés, ce que l'UICN a confirmé l'année suivante. Une augmentation lente mais continue de la population des antilopes du Tibet s'observe depuis le début du siècle.
En 2019, l’envergure de leur migration a rarement été aussi grande. Rien que dans la région d'Ali, aux confins du Tibet occidental, environ 3000 antilopes ont participé à la migration du printemps.
Aimin Wang, directeur du département chinois de la Wildlife Conservation Society, estime le nombre actuel d'antilopes sauvages entre 250 000 et 300 000, soit 4 fois plus que dans les années 1990 où le braconnage faisait des ravages dans la région.
L'antilope est menacée pour sa laine
Le personnel du Bureau de gestion de Hoh Xil et du Parc national de Sanjiangyuan mène des activités saisonnières afin de protéger les animaux sauvages. Des patrouilles de surveillance visent à prévenir et à réprimer le braconnage des antilopes dans la région de Hoh Xil.
Le braconnage de l'antilope vise sa laine exceptionnellement fine, appelée "chiru". Bien que la vente des étoles de chiru soit interdite depuis 1987, l’animal reste une cible pour les braconniers. Ils revendent à prix d’or sa précieuse toison sur des marchés parallèles. En Inde, la valeur de ces châles de luxe peut osciller entre 1000 et 5000 dollars américains. La demande mondiale des étoles de chiru a provoqué la disparition de 90 % de la population d'antilopes du Tibet au cours du siècle dernier. Autrefois, les étoles de chiru étaient un bien fort apprécié de l'aristocratie tibétaine et elles garnissaient avantageusement la dot des jeunes mariées en Inde. Aujourd'hui, elles sont surtout convoitées par des Occidentaux prêts à payer jusqu'à 20 000 dollars (près de 18 000 euros) pour une écharpe de la taille, de la couleur et de la forme de leur choix.
Écosystèmes protégés
Afin de permettre à la population d'antilopes du Tibet d'augmenter, la Chine protège en même temps les animaux et ses écosystèmes. Elle a, entre autres, agrandi ses réserves naturelles visant à maintenir la biodiversité. Celle de Changtang est la deuxième plus grande réserve naturelle du monde avec une superficie de 334 000 km². Située à une altitude moyenne de 5000 mètres, la réserve est aussi la plus grande et la plus élevée de Chine.
En 2015, la Région autonome du Tibet (RAT) a augmenté son travail de protection de la réserve de Changtang. Le gouvernement local a établi 73 stations de contrôle dans la réserve et a embauché 780 agriculteurs et bergers pour patrouiller dans la réserve. Pour gérer et protéger cette zone fort importante pour l'antilope, la RAT a investi 300 millions de yuans (43 millions de dollars).
De plus, en 2017, la RAT a interdit aux touristes et autres visiteurs de passer à travers une réserve naturelle nationale pour atteindre d'autres zones, ceci dans le cadre de la protection de l'environnement. Le bureau forestier du Tibet stipule que toute traversée de la réserve naturelle nationale de Changtang est désormais illégale. Le document interdit en particulier de traverser la réserve de Changtang pour atteindre les deux autres réserves naturelles adjacentes, l'une est celle des montagnes Altun-Tagh située au Xinjiang et l'autre est la réserve de Hoh Xil au Qinghai où les antilopes se regroupent pour le vêlage.
En juillet 2017, après une évaluation technique menée par l'UICN (Union Internationale pour la conservation de la Nature) qui fut jugée favorable, la réserve nationale de Hoh Xil a été inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco. Dans le rapport de l'UICN, la Chine et tous les acteurs impliqués dans la protection de la réserve de Hoh Xil sont "félicités pour leur engagement envers la protection des valeurs de conservation à grande échelle du plateau Qinghai-Tibet, comprenant l’intégration des pasteurs nomades traditionnels dans les efforts de conservation et pour l’engagement pris par l’État de ne procéder à aucun déplacement ou à aucune exclusion forcés des utilisateurs traditionnels du bien."
Le rapport de l'UICN "encourage la Chine à élargir sa collaboration dans le contexte du cadre de coopération de 2010 établi entre la Réserve naturelle nationale Hoh Xil et la Réserve naturelle nationale de Sanjiangyuan au Qinghai, la Réserve naturelle nationale de Changtang au Tibet et la Réserve naturelle nationale des montagnes Altun au Xinjiang, et à envisager des ajouts progressifs de secteurs de ces aires protégées au bien inscrit afin d’ajouter des attributs de Valeur Universelle Exceptionnelle et/ou d’améliorer l’intégrité,
la protection et la gestion."1
De très nombreux ongulés sauvages dépendent de la réserve de Hoh Xil, notamment 40% des antilopes du Tibet et 50% des yaks sauvages. Outre l’antilope et le yack sauvage, la réserve de Hoh Xil abrite encore l’hémione ou onagre du Tibet, la gazelle du Tibet, le loup et l’ours brun. Depuis 2006, les populations locales ont mis sur pied une association de volontaires pour protéger les espèces rares.
Route et voie ferrée sur le chemin de la migration
La grand route nationale et la voie ferrée connectant le Qinghai et le Tibet traversent le secteur oriental de la réserve de Hoh Xil, du nord au sud. Ces deux voies de communication importantes pour l'économie locale et nationale posent un des principaux défis en matière de protection de la faune.
La Chine a trouvé une parade judicieuse: la migration des animaux est facilitée par la construction de ponts et de chaussées surélevées. De même, lors de la réalisation de la voie ferrée du "Train du Toit du Monde", à la demande du WWF, on a surélevé la voie sur de vastes zones (plusieurs kilomètres de long), afin que le passage des migrations reste ouvert, que les animaux sauvages puissent continuer à se déplacer dans leurs zones de vie et que les nomades tibétains puissent continuer à déplacer leurs cheptels. A d'autres endroits, on a construit des passages sous la voie à flanc de montagnes pour que les animaux sauvages puissent traverser en sécurité et grimper de l'autre côté.
Par ailleurs, les antilopes tibétaines sont escortées pendant leur migration par un convoi de plusieurs dizaines d'employés expérimentés impliqués depuis des années dans la protection des antilopes du Tibet. « Afin de minimiser l'influence humaine sur la migration, le convoi d'escorte les suivra à moto et restera à distance du groupe », a précisé Gasang, chef de l'équipe organisée par le bureau de gestion de Qumalai dans le Parc national Sanjiangyuan. D'après lui, les antilopes risquent d'être attaquées tant par des animaux sauvages que par des braconniers pendant leur migration.
L'escorte du troupeau suit le groupe de migration entre le Qinghai et le Tibet pendant un mois. « Pendant le voyage, ils enregistreront également les activités quotidiennes de l'antilope et le nombre de nouveau-nés pour construire une base de données pour des études ultérieures », a dit Han Jianwu, directeur adjoint du bureau de gestion. À l'avenir, a-t-il ajouté, l'équipe sera dotée d'installations de haute technologie pour mieux surveiller la migration. Les experts seront également invités à former les membres de l'équipe qui pourraient avoir besoin de fournir un traitement médical d'urgence aux antilopes blessées ou malades.
Le Bureau de gestion du Hoh Xil a déclaré qu'il considère l'escorte de la migration et l'accouchement des antilopes tibétaines comme un travail clé tout au long de l'année. Après la migration de cette année, les effectifs de chaque poste de protection ont été augmentés afin de continuer à effectuer une surveillance par vidéo et par des patrouilles envoyées dans la zone. Si un troupeau d'antilopes tibétaines tente de traverser une route, un contrôle de la circulation est ainsi mis en place en temps opportun afin d'assurer le passage des troupeaux en toute sécurité.
Sources:
http://french.china.org.cn/travel/txt/2019-05/23/content_74815418.htm
http://m.tibet.cn/fr/environment/201909/t20190918_6683538.html
http://french.xinhuanet.com/2017-05/06/c_136261772.htm
http://french.peopledaily.com.cn/n3/2018/0809/c96851-9489437.html
http://m.tibet.cn/fr/environment/202005/t20200508_6773730.html
https://www.wwf.fr/especes-prioritaires/antilope-du-tibet
https://www.nationalgeographic.fr/animaux/2019/06/lantilope-du-tibet-est-massacree-pour-la-confection-decharpes
Notes :
1 CANDIDATURE AU PATRIMOINE MONDIAL – ÉVALUATION TECHNIQUE DE L’UICN - QINGHAI HOH XIL (CHINE) – ID N° 1540