Témoignage d'un médecin belge formé en médecine traditionelle chinoise à Wuhan, à propos du Covid-19

par Pierre Sterckx, le 5 juin 2020

Wuhan, j’y étais il y a 28 ans, quand j’y ai terminé mes études de médecine chinoise à l’Université de Médecine Chinoise du Hubei. Si l’épidémie y avait éclatée à ce moment-là, j’aurais compris. Mon épouse est chinoise et a visité la plupart des grandes villes du pays. Selon elle, Wuhan était bien la plus sale et sa némésis, c’était … l’hépatite. L’université était dans la vieille ville. Il y avait une rue célèbre de petits restaurants, que nous avions baptisé la Rue de l’Hépatite.

 

A Wuhan, il y avait le grand marché : un jour par semaine plusieurs rues étaient rendues piétonnières et étaient garnies de paillis. Les commerçants s’installaient sur les trottoirs et les clients déambulaient au milieu. Dans la cuisine chinoise, la fraîcheur prime. On y vendait donc beaucoup d’animaux d’origines diverses (pas de pangolins, ni de chauve-souris).  Mais certains d’entre eux mouraient avant d’être vendus et les cadavres étaient jetés dans le paillis. Bonjour l’hygiène. Ce n’est pas sans raison que l’hôpital universitaire numéro un de Wuhan était spécialisé dans le traitement de l’hépatite. Mais il faut y voir un aspect folklorique de la Chine d’il y a trente ans. Tout d’abord, je n’y ai rencontré aucun étudiant qui avait contracté l’hépatite, que ce soit par un petit restaurant ou par les cantines universitaires.

Aujourd’hui Wuhan est une grande métropole super-moderne. Au point de vue épidémique, c’est une ville vulnérable. On pourrait dire de Wuhan que personne n’y va, car il n’y a rien à voir, mais que tout le monde y passe. Et c’est vrai pour le transport de marchandises comme celui des personnes. C’est un réel carrefour où n’importe qui peut y égarer son petit virus ou le récolter.

Mon souvenir de Wuhan, c ‘est que ce sont des gens fiers, bien qu’un peu rudes et très individualistes. Voilà donc ce qui est remarquable : qu’une telle population puisse faire preuve d’un tel esprit de discipline, de solidarité et de sacrifice, qui a inspiré les Chinois de tout le pays et leur a amené une aide spontanée, non seulement financière, mais surtout de personnel soignant. Dans toute la Chine des médecins, des infirmières, des soignants se sont mobilisés et se sont présentés sur place en disant : « dites-moi ce que je peux faire », en risquant leur santé et leur vie, que certains y ont laissés.  Selon leurs compétences on leur a assigné un lieu de travail. Il ne faut pas s’y tromper. Il n’y a pas eu un quelconque mot d’ordre des autorités ou du « Parti ». Cela a été un magnifique mouvement de solidarité spontané, comme on l’avait déjà vu lors de tremblement de terre au Sichuan.

Je suis médecin chinois, diplômé à la Faculté de Médecine Chinoise à Wuhan. Ce qui m’a encore frappé, c’est l’esprit pragmatique du monde médical, comme je l’ai d’ailleurs toujours connu là-bas. Pas de guéguerre entre les clans de la médecine moderne et de la médecine traditionnelle ou entre les coteries scientifiques, comme on le voit ici. On a donc intégré dès le départ des traitements de la médecine chinoise pour traiter les malades du covid, dans les différentes étapes de la maladie, en ayant recours aux plantes, à l’acupuncture, au qigong, etc. Je ne vais pas parler des recherches scientifiques qui ont démarré aussitôt pour déterminer des plantes efficaces de la pharmacopée chinoise dans le traitement du coronavirus. Mais il faut dire que cela a été fait et que c’est toujours en cours.

A Wuhan, l’épidémie a explosé. Le mot d’ordre médical (en plus du confinement) était clair : mettre tout en œuvre pour soigner les patients et sauver des vies. La médecine chinoise y a pris une grande part. Il ne faut pas comparer cette médecine en Chine avec sa pratique dans nos pays occidentaux. Ce n’y est pas une malheureuse petite rallonge alternative, plutôt méprisée comme chez nous. Au contraire, il s’agit d’une médecine officielle, avec ses facultés universitaires, ses médecins, ses chercheurs, ses pharmacies spécialisées, ses labos, son industrie et son ministère. Les médecins traditionnels en Chine sont de vrais médecins hospitaliers spécialisés et non des thérapeutes qui ont consacré quelques centaines d’heures à un étude d’une thérapeutique complémentaire.

C’est donc avec une armée de vrais professionnels, dans de vrais hôpitaux et avec un arsenal de moyens thérapeutiques étonnant que la médecine chinoise a été mise en branle contre le covid.  Très rapidement on a créé une formule de plantes qui permettait de soulager les cas en début d’infection. Puis pour les patients hospitalisés on a créé un nombre impressionnant de protocoles adaptés. Ainsi beaucoup de vies ont été sauvées par la combinaison savante des médicaments chimiques, des plantes naturelles, de l’acupuncture, etc. A Wuhan 90 pourcent des patients ont été soignés avec la médecine chinoise.

 

En Occident on s’est permis de se moquer de cette approche. On a cyniquement parlé de propagande. Quelle honte et quelle bassesse. Il est vrai que la médecine chinoise n’avait pas de moyen pour guérir directement le virus.  Seulement avec les traitements de la médecine chinoise on pouvait efficacement réduire les symptômes, diminuer la souffrance, promouvoir la résistance à la maladie et la guérison.

Il faut comprendre que la Chine n’en est pas à un coup d’essai dans le traitement des épidémies. Elle en a connu de nombreuses pendant sa longue histoire. Grâce à cela et depuis le troisième siècle, la Chine a développé l’étude et le traitement des maladies épidémiques. Le pays n’était donc pas dépourvu de moyens face au Covid.

Il faut rendre hommage au peuple de Wuhan, de la province de Hubei et de toute la Chine. Il faut aussi rendre hommage à ses dirigeants. On essaie bassement de faire de ce coronavirus une affaire politique. Cependant cette pandémie est avant tout un drame humain, d’abord à l’échelle d’un pays, puis à l’échelle du monde. L’exemple de la Chine a été d’intervenir vite et fort, de se serrer les coudes et d’assurer la sécurité à son peuple. Ce qui a réussi. On s’en fiche du système politique. On pourrait aussi en faire une affaire de race, puisque les asiatiques s’en sortent en général mieux que le reste du monde. Mais on s’en fiche des races. Ce qui compte, ce sont les êtres humains en souffrance ou en danger. Notre mission est de les aider, d’abord chez nous et puis chez nos voisins proches ou lointains.

Je termine par cette petite anecdote assez caractéristique : nous avons des connaissances, médecins chinois de Chine, qui travaillent depuis trente ans à Milan. Quand l’épidémie s’y est déclarée et quand ils ont vu comment le pays prenait en charge ce problème, ils se sont sentis en danger et ont opté pour la sécurité. Ils ont fermé leur cabinet médical et ils sont rentrés en Chine et ce d’autant plus que leurs services médicaux n’étaient pas les bienvenus pour les autorités pour aider la population locale. Là ils se sentaient en sécurité. Entretemps l’Italie a invité des experts chinois pour les aider dans la gestion de l’épidémie.

Pour ma part, je ne suis jamais retourné à Wuhan. Dans les années qui ont suivi, je suis retourné souvent en Chine, chaque fois pour un stage clinique dans un hôpital d’une province différente. Cela me permettait de dire que j’avais vu plus d’hôpitaux que de sites touristiques. Mais j’ai gardé et reconnu la marque de Wuhan : en médecine, on n’y rigole pas avec la santé des gens.