Comment les batteries low cost LFP séduisent de plus en plus les constructeurs européens
par Benjamin Everaert pour L'Echo, le 2 juillet 2024
Sur papier, leur densité est moins grande et le business model pour les recycler plus compliqué. Mais les batteries LFP (Lithium-Fer-Phosphate) se frayent un chemin de la Chine vers l'Europe grâce à un argument de poids : leur prix. Renault va aussi se mettre aux batteries lithium fer phosphate. Cette technologie très populaire en Chine est adaptée aux véhicules entrée de gamme. Elle ne fait pas les affaires d'Umicore qui est absente de cette technologie de batterie.
"Moins chère, la technologie LFP devient une composante importante de l’équation économique des véhicules électriques abordables et de leur démocratisation en Europe». Cette citation du communiqué d’Ampere, la filiale du groupe Renault consacrée au véhicule électrique, résume bien, à elle seule, la partie qui est en train de se jouer dans le monde des batteries.
L’Europe, qui essaie de rattraper son retard dans les batteries sur l’Asie, se trouve secouée par une technologie batterie low cost: la technologie lithium fer phosphate (LFP). Ces batteries ont une densité moindre que les batteries NMC (nickel manganèse cobalt). Mais elles sont bien moins chères, car les matériaux qui les composent le sont aussi.
Diminution des prix
Dans une équation où l’on tente par tous les moyens de réduire le coût des véhicules électriques, cet argument du prix devient prépondérant. Les enquêtes le montrent, c’est devenu le frein principal à une adoption plus large du véhicule électrique, devant les questions d’autonomie.
Très présentes en Chine, ces batteries LFP arrivent dans les véhicules exportés vers l’Europe. Il faut donc répondre à cette concurrence et l’industrie automobile européenne est en train de revoir sa copie pour embrasser elle aussi cette technologie, ne fût-ce que pour un temps.
Ampere annonce donc travailler main dans la main avec ses fournisseurs coréens LG Energy Solutions et chinois CATL, pour la mise en place d’une chaîne de valeur intégrée sur le continent européen dans la batterie LFP.
Plus de cellules dans un espace donné
Au passage, le développement d’une technologie "cell-to-pack" permet d’intégrer 20% en plus de cellules dans un espace donné, ce qui doit en partie compenser la densité énergétique moindre des cellules LFP par rapport aux NMC.
Le groupe Stellantis (Citroën, Peugeot, Opel, Fiat, etc.) a aussi décidé, il y a huit mois, de travailler avec CATL pour acheter des batteries LFP. C’est notamment cette technologie qui a permis à Citroën de sortir un véhicule électrique familial de 320 kilomètres d’autonomie pour un prix de 23.300 euros.
"Ils ont été surpris, chez Renault, quand ils ont vu notre prix", se réjouissait en aparté un cadre de Citroën lors de la présentation de cette C3 électrique en Autriche, justement équipée d’une batterie LFP en provenance de Chine.
Volkswagen devrait aussi passer au LFP pour sa voiture électrique abordable d’ici deux ans.
Europe vs Chine
Dans le même temps, Renault proposait sa nouvelle R5 électrique, plus petite, mais à 25.000 euros, bon marché, mais plus chère avec une batterie NMC.
Cette R5 devrait néanmoins produire ses propres cellules de batteries en France dès 2025, alors que les batteries de la Citroën abordable arrivent de Chine.
Le fait que cette voiture est produite entièrement en Europe est régulièrement mis en avant par le patron du groupe Renault Luca de Meo. Ce n'est pas pour rien si Ampere insiste sur la chaîne de valeur européenne de sa nouvelle filière des batteries LFP.
Le groupe au losange se devait en tout cas de réagir pour avoir toutes les cordes à son arc. Aujourd’hui, Ampere estime que c’est le cas. Avec AESC implanté à Douai pour la production des batteries NMC, Verkor pour les technologies NMC à Dunkerque, CATL en Hongrie pour le LFP et LG Energy solutions depuis la Pologne tant pour le LFP que pour le NMC.
Le cauchemar d'Umicore
En Belgique, on assiste à cette bataille rangée entre les technologies batteries à travers le prisme d’Umicore qui fournit des matériaux cathodiques essentiels aux batteries NMC. En plus de subir un ralentissement des ventes globales de véhicules électriques, Umicore doit maintenant faire avec cette menace nommée LFP.
Car jusqu’ici, la stratégie d’Umicore a été de rester éloignée de cette technologie qu’elle ne peut pas intégrer dans ses chaînes de production de matériaux cathodiques actuelles.
Plusieurs projets d'usines NMC ont été postposé ou modifiés récemment par les clients/partenaires d'Umicore que ce soit via Volkswagen ou ACC, ce qui laisse entendre que l'industrie se pose des questions sur le bon pari technologique.
Il y a un sigle qui donne des maux de tête chez Umicore et c’est le LFP. Ce type de batterie lithium fer phosphate est le seul de toute la palette des batteries actuelles et à venir sur laquelle Umicore ne travaille pas vraiment ou si c'est le cas, de manière très discrète.
En novembre dernier, Umicore détaillait aux investisseurs sa stratégie batteries et rappelait que le LFP n’est pas dans son portefeuille. Selon les calculs d’Umicore d’alors, le LFP ne représenterait que 30% de la demande mondiale d'ici à 2030.
L’idée était que cette technologie soit ensuite remplacée par d’autres, moins chères et/ou plus efficaces. Mais la Chine, ultra-dominante dans la batterie LFP, tend à prouver au monde que les innovations existent aussi dans ce type de chimie de batterie.
Il y a, par exemple, ces batteries-lame de BYD. Elles promettent de gagner 50% de place par rapport à un pack batteries conventionnel et un faible dégagement de chaleur, ce qui les rendrait très sécurisées. Il y a aussi la technologie "cell-to-pack" comme chez Renault (Ampere) qui permet aussi de gagner de la place. Ces innovations donnent certaines lettres de noblesse aux batteries LFP, ce qui ne fait pas les affaires d'Umicore.
La stratégie batteries d’Umicore, non adéquate à la demande actuelle, a d’ailleurs couté sa place à Matthias Miedreich, le CEO d'Umicore en mai, alors que l’action Umicore est sérieusement malmenée en raison des incertitudes sur cette division de matériaux pour batterie.
Le CEO allemand a été remplacé en interne par Bart Sap, qui est en train de revoir entièrement la stratégie de la division batteries d’Umicore. Le nouveau CEO indiquait dans un call suite à un profit warning le 12 juin que le marché chinois était un défi pour les batteries NMC.
"Nous voyons des LFP arriver en Europe, et ce malgré tous les défis de recyclage et les coûts futurs qui en découleront", reconnaissait le CEO lors de ce call. Il continuait néanmoins à dire que le NMC jouerait un rôle majeur sur les marchés nord-américains et européens.
Le business review doit notamment réévaluer quelle part du marché ira vers le LFP. Rendez-vous est pris avec les analystes lors des résultats semestriels de la fin de ce mois.
Batteries entrée de gamme
Umicore parie beaucoup sur cette technologie HLM (batteries à haute teneur en manganèse) qui a "une meilleure densité énergétique, fonctionne mieux dans le froid, génère moins de CO2 à la production, a une meilleure valeur en fin de vie et peut être produite sur les lignes de productions actuelles", selon son analyse.
Toujours selon l’analyse de novembre d’Umicore, le LFP dépend énormément en Chine des subsides de l’État et de stocks importants de phosphate (orthophosphate de fer) qui s’y trouvent. Cela rendrait "très difficile de dupliquer" le modèle du LFP ailleurs, sans compter que son recyclage ne serait "pas intéressant économiquement".
Mais une autre solution pourrait venir des batteries sodium, sans lithium. Celles-ci sont l’objet de gros investissements et certaines percées scientifiques ont récemment eu lieu. Elles pourraient ainsi être encore moins chères que les LFP. Umicore travaille aussi sur ce type de batteries tout comme sur les batteries solides, le Graal à venir des technologies batteries.
Une diversification des risques
Aujourd'hui, il est en tout cas très difficile de prendre les bonnes décisions industrielles dans le monde automobile qui avance à toute vitesse. La technologie d'aujourd'hui risquant toujours de se faire dépasser par celle de demain avant que les investissements aient été amortis: le cauchemar de tout industriel et de tout investisseur.
Comme une "giga factory" prend du temps à être rentabilisée, l'exercice est délicat pour placer judicieusement ses investissements d'avenir dans les cellules de batteries. Le fait que les acteurs industriels parient désormais sur différentes solutions technologiques pour l'avenir sonne comme une diversification des risques.
Renault et Alpine, la marque premium du groupe, vont déployer ces batteries "autant que possible", mais plutôt sur des modèles dotés de moins de 60 kWh de batteries, a souligné Philippe Brunet, directeur de l'ingénierie et de la mécanique au sein d'Ampere.
Le nouveau Scenic étant équipé de batteries allant jusqu'à 87 kWh pour une autonomie affichée de 625 kilomètres, ces batteries devraient donc équiper les modèles d'entrée de gamme, qui pourraient être la future Twingo, mais aussi une version de la R5, ce que n'a pas confirmé Renault.
La direction d'Ampere avait indiqué qu'elle comptait baisser de 40% le coût de fabrication de chaque voiture d'ici à 2027. "On a fait presque la moitié", a souligné Josep Maria Recasens, directeur des opérations d'Ampere.
La course à la meilleure chimie, à l’accès aux minéraux critiques et à la baisse du prix des batteries donne lieu à une intense bataille technologique. Petit point sur les technologies actuelles et à venir.
La diversification semble être la clé de l'industrie face aux différentes technologies de batteries :
Batteries NMC
Les batteries lithium-ion nickel-manganèse-cobalt. Ce sont les batteries présentes actuellement dans l’essentiel des voitures électriques occidentales. Elles offrent les meilleures autonomies et une bonne durabilité, mais demandent des minerais critiques comme le cobalt ou le nickel. Leurs conditions d'extraction posent aussi question dans certaines parties du monde, en particulier au Congo.
Ces batteries sont également chères et sont responsables du prix élevé des véhicules électriques. Elles existent en version nickel à teneur moyenne et à teneur élevée. Ces batteries restent néanmoins promises à un bel avenir dans les véhicules Premium et en partie dans le moyen de gamme.
Batteries LFP
Les batteries lithium-fer-phosphate sont les batteries les plus répandues en Chine. Elles utilisent des matériaux moins critiques que les batteries au nickel et au cobalt. Elles sont néanmoins beaucoup moins intéressantes à recycler. Elles offrent aussi des autonomies moindres, même si cet aspect s’est fort amélioré récemment avec les dernières générations.
Stellantis a déjà annoncé un deal avec CATL sur cette technologie pour ses véhicules entrée de gamme. Les autres constructeurs européens les envisagent de plus en plus sérieusement pour leurs véhicules d’entrée de gamme en Europe.
Batteries LFMP
Ce sont des batteries lithium-fer-manganèse-phosphate dans lesquelles on "ajoute" du manganèse, de quoi améliorer leurs performances et en particulier l’autonomie des véhicules électriques.
Batteries HLM
Ces batteries lithium à haute teneur en manganèse sont une alternative pour l’entrée de gamme aux batteries LFP. On les connait bien en Belgique, parce qu’Umicore parie dessus pour répondre à la demande des constructeurs de disposer de batteries meilleur marché.
Umicore peut en outre produire les matériaux cathodiques actifs dans ses unités de production NMC. Aucun modèle les prévoyant n'a déjà été annoncé. Umicore les voit commencer une percée en 2025.
Les batteries sodium-ion (Na-ion)
Les batteries sodium-ion sont la promesse de batteries sans lithium. Le sodium est bien meilleur marché que le lithium. On parle de batteries pour les véhicules entrée de gamme ou pour de l’énergie stationnaire.
Ces batteries ont encore quelques défis technologiques à résoudre avant leur véritable percée. Elles seraient encore 20% moins chères que les batteries LFP.
Batteries DRX
Les batteries avec cathodes DRX pour "disordered rock salt" représentent aussi une technologie du futur qui permettra de produire des batteries avec n'importe quel métal de transition au lieu du nickel et du cobalt.
Batteries solides
La solidification des batteries concerne les batteries NMC à moyenne et haute teneur en nickel. Une fois rendues solides, les batteries auraient besoin de moins de matériaux et amélioreraient leur densité énergétique.
Des batteries semi-solides devraient émerger dans la seconde partie de cette décennie avant de voir des batteries entièrement solides arriver sur le marché encore cette décennie.
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