Quand la Chine se veut championne du monde de la biodiversité

par la rédaction de "Courrier international", le 19 février 2022

Organisatrice de la 15ème conférence mondiale sur la diversité biologique (COP15), la Chine entend promouvoir son concept de “civilisation écologique”, synonyme de croissance verte.

 

Le gibon de Hainan, qui a failli disparaître, est le symbole des efforts actuels de la Chine en faveur de la biodiversité
Le gibon de Hainan, qui a failli disparaître, est le symbole des efforts actuels de la Chine en faveur de la biodiversité

 

Signée par une centaine de pays en octobre 2021, la "déclaration de Kunming", du nom de la capitale du Yunnan où s’est tenue la première partie de la conférence, a donné le ton de la COP 15 dont l’objectif est d’aboutir à un nouvel accord mondial pour freiner l’érosion de la biodiversité. Or ce texte est truffé de concepts devenus chers au Parti communiste chinois, note "The Economist", à commencer par celui de “civilisation écologique” :

"Apparue dans les années 1980, au moment où le concept de développement durable émerge en Europe, l’expression a d’abord été utilisée par des intellectuels qui remettaient en cause le modèle de développement économique du pays. À partir des années 2000, elle a été progressivement intégrée à la rhétorique du Parti communiste pour devenir synonyme de "croissance verte", tout en étant peu à peu vidée de sa dimension critique. Depuis 2018, ce principe figure dans la Constitution chinoise."

 

Un désastre écologique

Qualifiée de “tigre édenté” par Greenpeace, la “déclaration de Kunming” fait un sort à un autre concept prôné par le président Xi Jinping : la “théorie des deux montagnes”, selon laquelle “les montagnes vertes sont des montagnes d’or”.

En clair : l’environnement ne devrait plus, désormais, être sacrifié au développement. Dans la foulée, Xi Jinping a annoncé la mise en place d’un "fonds Kunming" pour soutenir la protection de l’environnement dans les pays en développement et donné rendez-vous aux autres participants pour le second acte de la COP15, prévu en avril prochain, en Chine – sauf ajournement.

Pendant des décennies, une croissance économique effrénée a permis à des millions de Chinois d’échapper à la pauvreté, explique The Economist. Au détriment de l’environnement et des espèces vivantes, mis à mal par la pollution et la surexploitation des ressources :

"Bon indicateur de la biodiversité, le nombre d’espèces de vertébrés terrestres a chuté de moitié en Chine depuis 1970. Parmi celles qui ont survécu, plus d’une espèce sur cinq est menacée d’extinction. Depuis 1950, plus de la moitié des mangroves du pays, lieux de reproduction essentiels à la vie aquatique, ont disparu. Environ 90 % des prairies sont à des stades divers de dégradation ou de désertification et près de la moitié des populations d’animaux sauvages sont en déclin, décimées par le commerce illégal d’espèces sauvages.”

Pourtant, il y a encore beaucoup de ressources naturelles à sauver à Chine. “Malgré les ravages de l’urbanisation, le pays abrite encore 10 % des espèces végétales mondiales, 14 % des espèces animales et 20 % des poissons”, souligne le journal.

 

Des objectifs contradictoires

Reste à évaluer l’engagement réel des autorités en faveur d’un développement respectueux des espèces vivantes alors que les interrogations sur les origines du Covid-19 viennent de mettre l’accent sur les conséquences de la destruction des habitats et du commerce de la faune sauvage.

Aucune province chinoise n’illustre aussi clairement les paradoxes auxquels la Chine se trouve confrontée que l’île de Hainan, dans l’extrême sud du pays. Ce haut lieu touristique a attiré l’année dernière 80 millions de touristes (chinois, pour la plupart). L’île abrite une forêt tropicale humide de 4 400 km2 où vivent notamment les primates reconnus comme les plus menacés au monde : les gibbons de Hainan. La province, qui est devenue la première en Chine à interdire le plastique à usage unique, entend désormais protéger 27 % de ses terres et 35 % de ses eaux côtières

Dans les années 1950, la jungle avait été défrichée pour laisser place à des fermes d’État afin de produire du caoutchouc. Il y avait alors environ dans l’île 2 000 gibbons. En 1970, il n’en restait plus qu’une dizaine. Depuis, des litchis et des figuiers – les arbres préférés des gibbons – ont été replantés, un parc national a été créé et la mangrove est officiellement protégée. La population des gibbons comprend aujourd’hui 35 individus. L’espèce est-elle sauvée pour autant ? Rien n’est moins sûr alors qu’un port de libre-échange censé susciter à terme un volume d’affaires de 50 milliards de dollars vient également d’être créé sur la côte et qu’il est prévu de continuer à développer le tourisme.

Les ONG locales espèrent que l’argent pourra servir à de nouvelles actions de protection des espèces. “Hainan devra sans cesse trouver un nouvel équilibre”, constate une de leur représentante. Mais “aucune mangrove n’est une île”, prévient The Economist, qui souligne à quel point les objectifs proclamés semblent contradictoires.