Les nouvelles Routes de la Soie et les BRICS+
Partie 2 : La Chine, porte-parole des BRICS+
par Elisabeth Martens, le 23 décembre 2024
En octobre 2024 eut lieu le sommet des BRICS+ à Kazan, en Russie. Les gouvernements de la moitié de l'humanité se sont réunis autour de Poutine, Xi Jinping, Narendra Modi et le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, confirmant que les 36 pays présents s'allient pour devenir le moteur de la croissance mondiale.
Deux réconciliations majeures au sommet de Kazan
Le sommet de Kazan a été marqué par deux réconciliations majeures.
D'abord celle entre la Chine et l'Inde : les deux pays les plus peuplés du monde étaient en conflit transfrontalier dans le grand ouest chinois. Leur réconciliation, confirmée quelque jours plus tard au sommet du G20 à Rio, renforce la tendance multipolaire qui est l'axe de travail des BRICS+.
Le rapprochement entre la Chine et l'Inde représente un intérêt géostratégique évident, ils sont la première et la troisième économie au niveau mondial en parité de pouvoir d'achat. À eux seuls, au cours des dix dernières années, ils ont compté pour 47 % de la croissance mondiale. Peu endettés, ils possèdent une grande réserve en dollars et en or. Ils sont les clients majeurs de l'énergie russe, et la Chine est la première partenaire commerciale de l'Inde.
Or les États-Unis qui comptaient sur l'Inde comme alliée militaire contre la Chine avaient fait renaître le dialogue quadrilatéral (ou Quad, une alliance militaire entre États-Unis, Australie, Japon et Inde) à l’occasion du sommet de l’APEC en novembre 2017. Puis, en septembre 2021, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie ont annoncé le lancement d'AUKUS, un pacte nucléaire qui allait clairement à l'encontre du « Traité de non-prolifération » et qui fut manifestement conçu pour contrer la Chine.
Le récent rapprochement entre la Chine et l'Inde à Kazan est une entrave majeure aux projets bellicistes des États-Unis.
Un autre rapprochement important a été confirmé au sommet de Kazan, celui entre l'Iran et l'Arabie saoudite. En 2023, le rétablissement de leurs relations diplomatiques avaient été annoncé après sept ans de mise à distance. L'accord tripartite fut négocié avec la Chine qui a ainsi permis l’élargissement des BRICS+ vers le Moyen-Orient.
Depuis le conflit israélo-palestinien, la question palestinienne a été replacée au cœur de la diplomatie régionale. L'Iran, ennemi juré d’Israël, a toujours défendu avec vigueur le peuple palestinien. Quant aux Saoudiens, ils ont durci le ton à l’égard d’Israël l'accusant de commettre un génocide à Gaza.
Or pour aboutir à la paix au Proche-Orient, le projet des États-Unis passait par la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite. Ils comptaient sur un accord militaire avec l’Arabie saoudite, leur proposant même de les aider à lancer un programme nucléaire, après quoi les Saoudiens auraient fait la paix avec Israël qui aurait accepté de négocier avec les Palestiniens.
Ce plan étasunien a également échoué, la Chine s'est mise en travers du projet en orchestrant la réconciliation entre l'Iran et l'Arabie saoudite, condition préalable à toute négociation et au retour de la paix dans la région.
Le sommet des BRICS+ à Kazan a mis en évidence l'échec de la politique étrangère de Washington, et le rôle de leadership de la Chine qui grâce à sa stabilité et sa force peut se positionner sur la scène mondiale pour aider à résoudre des problèmes persistants.
BRICS+, un pilier contre une troisième guerre mondiale
Quel est le ciment qui permet aux membres des BRICS+ de réunir leurs efforts ? On constate que les pays membres du BRICS+ dispersés géographiquement sont également très disparates en termes de taille, d'intérêts économiques, de système politique, d’histoire, de culture, etc. Ils n'ont apparemment pas beaucoup de points communs.
Quelles ambitions peuvent partager des pays aussi éloignés idéologiquement que la Chine avec ses caractéristiques socialistes et l'Arabie saoudite, une monarchie réactionnaire ? C'est sur ces divergences que comptent les pays occidentaux pour discréditer le travail de coopération effectué par les BRICS+ .
Pourtant les BRICS+ travaillent ensemble, et ça marche. Ça marche parce que tous les États membres du groupe ont compris que leur pire ennemi est la guerre. Or le choix réel, concret, actuel, se situe entre : une coopération pacifique ou une troisième guerre mondiale. Ce dilemme qui menace l'humanité et la planète explique le rassemblement de nombreux nouveaux pays autour d'un avenir de coopération et de paix.
En ce qui concerne la guerre qui oppose l'Ukraine et la Russie, Antonio Guterres a déclaré au sommet de Kazan que « tous les États devraient agir conformément aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations Unies dans leur intégralité et leur interdépendance ».
Si Guterres appelle à une fin des hostilités et le retrait des troupes russes des territoires occupés par Kiev, de quels territoires s'agit-il ?
La Charte des Nations Unies ne mentionne-t-elle pas qu'en cas de « l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression » (art.39), le Conseil de sécurité de l'ONU peut décider de « l'interruption complète ou partielle des relations économiques » (art.41) ou « peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales » (art.42)1
Or n’était-ce pas un tel acte d'agression de la part de l'Ukraine qui a mis le feu au Donbass de 2014 à 2022 ? Cette agression territoriale superbement ignorée par les Occidentaux permettait, voire imposait, à la Russie d’intervenir. Il serait bienvenu que les BRICS+ se manifestent à ce sujet.
À Gaza, depuis le début du conflit, les BRICS+ soutiennent un cessez-le-feu immédiat et permanent, avec un retrait israélien et la fin des violences en Cisjordanie et au Liban.
Jusqu'il y a peu Netanyahou n'était pas puni pour commettre ce qu'on ne peut appeler autrement qu'un génocide de masse à Gaza - territoire arrosé de 80.000 tonnes de bombe, 36 kg d'explosif par habitant -, ni pour son agression coloniale en Cisjordanie et ses frappes sur le Liban.
Mais depuis que Netanyahou et Gallant ont été accusés de crimes contre l’humanité par la CPI, les pays européens se voient confrontés à la pression des États-Unis pour qu’ils se joignent à leurs efforts visant à attaquer ou à détruire complètement la CPI.2 Des hauts fonctionnaires d’un certain nombre de membres de l’Union européenne, dont la France, la Belgique et les Pays-Bas, ont déclaré qu’ils respecteraient les décisions de la Cour. L'Allemagne et l'Italie, alliées d'Israël, ont eu une réaction beaucoup plus mitigée et se sont rangés du côté de Washington.
Pour préserver la domination des États-Unis, Biden a cherché à diviser le monde en deux blocs opposés : « les démocraties contre les autocraties ». Il a instrumentalisé la guerre en Ukraine et utilisé son soutien à Israël pour forcer les pays européens à choisir leur camp. Le commissaire européen Josep Borrell a beau déclarer que « la décision de la Cour doit être respectée et mise en œuvre par les pays de l’UE », on ne peut que constater que l'Union européenne se fissure, se girouette, avance d'un pas et recule de trois, etc.
Va-t-elle finir par suivre Washington qui a fustigé le mandat d’arrêt de la CPI contre les deux Israéliens le taxant de « scandaleux » ? « Nous nous tiendrons toujours aux côtés d’Israël contre les menaces à sa sécurité », a déclaré Biden. Antony Blinken, le chef américain de la diplomatie, a surenchéri en qualifiant de « honteuse » la demande de la CPI.
Quant à la Chine, elle espère que « la CPI maintiendra sa position objective et impartiale et exercera ses pouvoirs conformément à la loi », tout en appelant à la fin de la « punition collective du peuple palestinien ». Wang Wenbin, le chef de la diplomatie chinoise, a ajouté que Pékin soutenait « les efforts visant à promouvoir une solution globale, juste et durable à la question palestinienne ».
Selon la Chine, il existe « un consensus écrasant au sein de la communauté internationale pour arrêter immédiatement la guerre à Gaza et mettre fin à la crise humanitaire du peuple palestinien »3. La Chine se fait porte-parole des pays membres des BRICS+, soit de 45% de la population mondiale, 3,7 milliards d'individus qui veulent à tout prix éviter une nouvelle guerre mondiale. Serons-nous assez idiots pour ne pas leur emboîter le pas ?
La nomination par Trump de Marco Rubio et Michael Waltz, comme secrétaire d'État et conseiller à la sécurité nationale, envoie un signal clair. « Marco Rubio est un fanatique anti-chinois, prônant plus de tarifs, plus de sanctions, plus de diffamation, plus de soutien au séparatisme taïwanais, plus de provocations en mer de Chine méridionale et davantage de déstabilisation à Hong Kong et au Xinjiang. Mike Waltz a longtemps plaidé pour une coopération militaire plus étroite avec l'Inde, le Japon, l'Australie et d'autres pays de la région en préparation à une guerre contre la Chine. »4
Serons-nous assez inconscients pour suivre l'escalade des hostilités programmée par Trump?
Sources :
1 https://www.legal-tools.org/doc/ae11a6/pdf
2 https://www.legrandsoir.info/la-cour-penale-internationale-delivre-des-mandats-d-arret-contre-netanyahou-et-gallant-pour-crimes-de-guerre-a-gaza.html
3 https://www.la-croix.com/international/mandats-d-arrets-a-la-cpi-lue-se-divise-entre-defenseurs-de-la-cpi-et-soutiens-disrael-20240521
4 "Trump II, un pas de plus dans la guerre contre la Chine ? ", Carlos Martinez, in China Vandaag, herfsteditie 2024
A lire aussi les autres parties de cet article :
Les nouvelles Routes de la Soie et les BRICS+ :
Partie 1 : L'Initiative Ceinture et Route (ICR)
Partie 2 : La Chine, porte-parole des BRICS+
Partie 3 : Les BRICS+, moteur de la croissance mondiale
Partie 4 : Des choix sociaux pour le G77+Chine et l'ONU
Partie 5 : Réactions sinophobes de l'Occident
Partie 6 : Pour sauver la planète, il faut d'abord sauver les gens
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