Les nouvelles Routes de la Soie et les BRICS+

Partie 4 : Des choix sociaux pour le G77+Chine et l'ONU

 

par Elisabeth Martens, le 23 décembre 2024

La NDB (Nouvelle banque de développement des BRICS) a des précurseurs historiques. Si nous remontons le fil, nous trouvons le G77 ou Mouvement des Non-alignés (MNA) en 1962 et, à la source, la conférence de Bandung qui s'est tenue en 1955. Celle-ci a réuni tous les grands leaders politiques des pays africains et asiatiques nouvellement indépendants.

 

 

L'esprit de Bandung et le G77+Chine

Les pays occidentaux et leurs transnationales ont conçu un ordre international qui ne tient pas compte du progrès des nations du Sud global et n'est efficace que pour d'infimes minorités. C'est sur ce constat que, lors du 15ème Sommet des BRICS à Johannesburg en août 2023, Miguel Mario Diaz-Canel Bermudez, Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba et président de la République a déclaré :

« Nous, groupe des 77 plus la Chine (G77+Chine) et BRICS, avons la responsabilité et la possibilité d'agir pour changer cet ordre mondial injuste : ce n'est pas une option, c'est la seule possibilité. Aujourd'hui, personne ne peut remettre en question l'autorité croissante des BRICS. C'est pourquoi nous n'hésitons pas à saluer son éventuel élargissement, qui contribuerait à renforcer son importance et sa représentativité. Entreprendre une véritable transformation de l'architecture financière internationale, profondément injuste, anachronique et dysfonctionnelle a été une revendication historique du G77, comme elle l’est également des BRICS. Nous croyons fermement que la Nouvelle Banque de développement (NDB) créée par les BRICS peut et doit devenir une alternative aux institutions financières actuelles qui ont appliqué depuis près d'un siècle des recettes draconiennes pour tirer profit des réserves du Sud et reproduire leurs schémas d'assujettissement et de domination. »1 

à Johannesburg en août 2023, discours de Miguel Mario Diaz-Canel Bermudez
à Johannesburg en août 2023, discours de Miguel Mario Diaz-Canel Bermudez

En 1955, pour la première fois, les pays présents à la Conférence de Bandung ont tenté de lancer une coopération entre pays en développement « sur la base de l'intérêt mutuel et du respect de la souveraineté nationale ».

Ces pays cherchaient à établir leur propre identité en tant que groupe opposé au néocolonialisme de l'URSS, des États-Unis ou de toute autre nation impérialiste du monde. La Conférence de Bandung avait pour objectif de rétablir les liens économiques et culturels au sein du Sud, corrompus par le colonialisme, tout en renforçant les liens entre le Nord et le Sud.2

La Conférence de Bandung a posé les bases du non-alignement mais, jusqu'en 1962, il n'y eut aucun mécanisme pour mettre en œuvre les propositions de cette Conférence. Dans les années 1960, un plus grand nombre d'États nouveaux et en développement ont rejoint les Nations Unies. Ils ont utilisé l'ONU comme forum pour exprimer leur mécontentement à l'égard du système économique et social international.

En 1962, 77 pays en développement se sont regroupés au sein des Nations Unies autour d'intérêts économiques et politiques communs. L'ONU s'est engagée auprès du « G77 » ou Mouvement des non-alignés (MNA) à promouvoir la démocratisation des relations internationales.

Depuis lors, le G77 constitue un facteur essentiel pour unir tous les pays en développement afin que, malgré leur diversité, ils puissent peser sur les décisions internationales. En 2014, la Chine s'est ajoutée au G77 qui comptait alors 133 pays membres, pour donner ce qui est nommé maintenant le « G77+Chine ».

C'est en 1955 à Bandung que Zhou Enlai a déclaré : « Les puissances coloniales ne peuvent plus utiliser les méthodes du passé pour poursuivre leur pillage et leur oppression. L’Asie et l’Afrique d’aujourd’hui ne sont plus l’Asie et l’Afrique d’hier. Un grand nombre de pays de cette région ont fait le choix de prendre leur destin en mains après de longues années d’efforts. »

Zhou Enlai à Bandung en 1955
Zhou Enlai à Bandung en 1955

 

Après 75 ans d'efforts, la Chine s'est hissée au premier rang mondial en terme de matières produites. Attestée par l’ONU, la Banque mondiale, le FMI et l’OCDE, l’ampleur des progrès accomplis par la Chine donne le vertige. D’après l’ex-économiste en chef de la Banque mondiale, l’apparition d’une énorme classe moyenne en Chine est la principale cause de la réduction des inégalités mondiales entre 1988 et 2008.

Mais on oublie souvent d'où vient ce pays-continent : « En 1949, la Chine offre le spectacle d’une misère ahurissante. Composée pour l’essentiel de paysans pauvres, la population chinoise a le niveau de vie le plus faible de la planète, inférieur à celui de l’Inde ex-britannique et de l’Afrique sub-saharienne. Sur cette terre où l’existence ne tient qu’à un fil, l’espérance de vie est de 36 ans », rapelle Bruno Guigue dans son article « Ainsi va la Chine en 2024 »3.

Puis, sous Mao (de 1950 à 1975), l’espérance de vie moyenne est passée de 36 à 64 ans, elle atteint aujourd’hui 78,2 ans (contre 76,1 ans aux États-Unis et 67 ans en Inde). Puis la Chine s'est montrée impitoyable dans sa lutte contre la pauvreté, elle a contribué à près de 75 % de la réduction de l’extrême pauvreté à l’échelle mondiale entre 1981 et 2017 et a permis à 770 millions de personnes de sortir de la pauvreté depuis 1978.4

La « pauvreté extrême » (selon les normes internationales) a été éradiquée en 2021 au terme d'encore dix ans d’efforts. Près de 100 millions de personnes ont obtenu les « cinq garanties » : nourriture, vêtements, logement, éducation et santé.

 

L'ONU et les nouvelles Routes de la soie

Dans son ascension fulgurante, la Chine a conservé les valeurs qui, depuis qu'elle s'est constituée en République populaire, l'ont guidée vers la modernisation, une modernisation qui a pour finalité la justice sociale et l’amélioration du bien-être de la population. L’éradication de la pauvreté extrême, la généralisation de la protection sociale et la mise au pas des grands groupes privés illustrent la détermination des dirigeants chinois à réaliser la « prospérité commune ».

Historiquement, la Chine populaire s'est positionnée dès le début comme un défenseur des intérêts des pays en développement. Elle a toujours soutenu des politiques favorisant la souveraineté nationale, l'égalité entre États, et la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

La rapidité et l’ampleur sans précédent de la réduction de la pauvreté en Chine peuvent offrir des enseignements importants et des stratégies éprouvées à d’autres pays en développement. En outre, en tant que premier fournisseur de coopération Sud-Sud pour le développement, la Chine joue un rôle actif de premier plan dans les initiatives mondiales de réduction de la pauvreté, en s’appuyant sur sa propre expérience. Ses réussites sociales peuvent servir d'exemple aux pays en développement.

Les Nations Unies dont la Chine fut un des cinq membres fondateurs en 1945 a également inscrit la justice sociale et l’amélioration du bien-être de la population comme valeurs fondamentales dans sa Charte. Si ces valeurs sont partagées par la Chine et par l'ONU, elles le sont aussi par les 77 pays qui étaient présents à la Conférence de Bandung en 1955. Comme une suite logique, en 1962, les pays non-alignés ont choisi les Nations Unies comme plate-forme pour se retrouver et travailler ensemble.

Ce sont encore ces mêmes choix de société qui lient aujourd'hui les États membres des BRICS+, des choix qui conduisent les peuples vers la modernisation : « placer les besoins du peuple comme finalité au cœur de la modernisation, c’est confirmer le choix du socialisme. » Ainsi « le concept de modernisation n’est pas neutre, il impacte directement notre mode de vie et notre manière de penser. »5

Il est urgent de remettre en valeur les principes de la Charte des Nations Unies et d'agir pour la faire vivre concrètement de manière indépendante des États-Unis, car ceux-ci « constituent le plus grand danger au niveau mondial et le plus grand défi pour la vie, la démocratie, la justice et la paix », écrit Jean-Pierre Page dans son chapitre consacré aux Nations Unies et leur instrumentalisation par Washington.6

La Chine finance des projets d'infrastructure et de développement, souvent dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie », pour redynamiser les liens entre les pays du Sud global et pour que renaisse l'esprit de Bandung. L'Initiative de la Ceinture et la Route (ICR) a été lancée en 2013 par Xi Jinping comme une voie de coopération avec les pays du Sud, d'Asie, d'Amérique et d'Europe qui veulent participer à l'effort de paix et construire notre « communauté de destin ».

Si les médias occidentaux présentent les nouvelles Routes de la soie comme une pieuvre à longues tentacules prête à dévorer la planète, c'est parce que l'Occident n'a pas appris à réfléchir autrement qu'en termes de « dévoreurs/dévorés ».

Mais il suffirait que les pays occidentaux s’associaient aux BRICS+ pour aider les pays du Sud à s’industrialiser, pour qu'ils mettent fin à la compétition géopolitique et qu'ils surmontent la crise migratoire de la seule manière humaine possible, c-à-d en créant des conditions dans lesquelles les personnes qui sont aujourd’hui des réfugiés aient la possibilité de participer à la construction de leur pays d’origine.7

Pour les États membres des BRICS+, « le tout est plus que la somme de ses parties » : c'est ensemble qu'ils peuvent trouver un équilibre assez puissant pour contrebalancer la spirale de violence et de non-sens engendrée par l'individualisme, le nihilisme, le repli sur soi, qui est le sort désastreux de nos « pays sur-développés ».

 

Sources :

1 "Nous, pays du G77 et des BRICS, avons l'opportunité de générer une transformation historique": https://fr.granma.cu/mundo/2023-08-25/nous-pays-du-g77-et-des-brics-avons-lopportunite-de-generer-une-transformation-historique

2 https://www-g77-org.translate.goog/paris/history/historical-background.html

3 https://reseauinternational.net/ainsi-va-la-chine-en-2024/

4 https://www.oecd.org/content/dam/oecd/fr/publications/reports/2024/07/development-co-operation-report-2024_b9cb300f/cf89cef9-fr.pdf

5 De Jean-Pierre Page: "les routes de la soie et la commnauté de destin" https://www.legrandsoir.info/les-routes-de-la-soie-et-la-communaute-de-destin.html

6"La Charte des Nations unies comme but et moyen de la coopération internationale", Jean-Pierre Page dans "Chine/USA: la guerre imminente?" pp.95-118 (éd. Delga)

7 https://7r9t6.r.a.d.sendibm1.com/mk/mr/sh/SMJz09SDriOHW0dYM953mhtDdKQW/SAUlJ4WDvG2E

 

A lire aussi les autres parties de cet article :

Les nouvelles Routes de la Soie et les BRICS+ :

Partie 1 : L'Initiative Ceinture et Route (ICR)
Partie 2 : La Chine, porte-parole des BRICS+
Partie 3 : Les BRICS+, moteur de la croissance mondiale
Partie 4 : Des choix sociaux pour le G77+Chine et l'ONU
Partie 5 : Réactions sinophobes de l'Occident
Partie 6 : Pour sauver la planète, il faut d'abord sauver les gens

 

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