Les nouvelles Routes de la Soie et les BRICS+
Partie 3 : Les BRICS+, moteur de la croissance mondiale
par Elisabeth Martens, le 23 décembre 2024
La présence massive de la Chine dans le groupe BRICS+ semble rendre les accords commerciaux inégaux. C'est une des raisons pour lesquelles la Chine a été accusée par l'Occident d'imposer ses propres conditions aux pays du Sud global. Mais si nos médias parlent de la Chine comme d'une puissance néocoloniale, n'est-ce pas parce qu'ils jaugent les actions des BRICS+ à partir d'un schéma issu d'une approche tiers-mondiste post-coloniale1 ?
La Nouvelle Banque de développement (NDB)
La Chine n'a pas le pouvoir de décision au sein des BRICS+, les décisions qui y sont prises sont le résultat d'un consensus. « Plutôt que d'élever leurs propres intérêts au-dessus des autres, les membres se tournent les uns vers les autres pour assurer la stabilité en période d'instabilité, en apprenant à s'adapter à l'essor de chacun, en trouvant des moyens de gérer leur concurrence et de soutenir le développement de chacun, malgré les tensions qui existent entre eux, dans le cadre des Nations unies », explique Jenny Clegg dans son article « Understanding the role of BRICS+ in global progress ».2
Il est certain qu'individuellement, des ambitions d'agrandissement national sont en jeu chez certains des membres des BRICS+, mais que chaque État cherche à faire valoir ses intérêts, n'est-ce pas le fondement des relations internationales ?
Ce qui différencie les BRICS+ du bloc néocolonialiste occidental, ce sont ses pratiques de non-ingérence dans les politiques nationales et de respect des intérêts de chacun des pays représentés. Un tel climat au sein des BRICS+ est propice à la recherche de consensus, malgré les fortes disparités entre États membres.
Depuis sa fondation en 2009, le groupe BRICS a pour objectif de corriger le déséquilibre monétaire divisant le monde en puissances du G7, d'une part et « les autres », d'autre part. Les BRICS portent un projet à long terme qui sert de plate-forme aux économies émergentes afin de coordonner et de garantir les objectifs de développement futur.
Pour concrétiser ces objectifs, le groupe BRICS a proposé des réformes qui incluent un nouvel ordre financier international. Il a créé la Nouvelle Banque de développement (New Development Bank BRICS, ou NDB), anciennement connue sous le nom de « Banque de développement des BRICS », une banque alternative à la Banque mondiale et au FMI. La NDB est configurée pour favoriser une plus grande coopération financière et de développement entre les pays émergents. Elle a son siège à Shanghai et est présidée, depuis 2023, par l'ancienne présidente du Brésil, Dilma Rousseff.
Parmi les objectifs de la NDB, il y a des projets de financement d'infrastructures et de création d'une « réserve d'arrangement de devises » de l'ordre de 100 milliards de dollars. Cette réserve se répartit à hauteur de 41 milliards de dollars pour la Chine, 18 milliards pour le Brésil, la Russie et l'Inde, et l'Afrique du Sud devrait donner une contribution de 5 milliards de dollars.
Le sommet de Kazan a pu s'appuyer sur le projet de la NDB pour confirmer le droit au développement aux pays du Sud global, leur garantir un « traitement spécial et différencié » au sein de l'OMC, ainsi qu'une « responsabilité commune mais différenciée » dans la lutte contre le changement climatique.
Les pays du Sud global seront les premiers à souffrir de la sortie de la politique monétaire expansionniste des États-Unis et de leurs alliés. Pour faire face aux chocs financiers futurs, la réserve de la NDB leur assure une assistance.3
Cette initiative des BRICS+ s'est évidemment heurtée à une forte résistance de la part du G7 qui détient encore les rênes financières internationales bien qu'il ne représente que 10 % de la population mondiale contre 46,6 % pour les BRICS+.
Réduire la dépendance au dollar
Les BRICS+ représentent déjà 36% du PIB mondial à parité du pouvoir d’achat. Ils dépassent le G7 qui en représente 29 %. Néanmoins, compte tenu du revenu par habitant et de l'avancée technologique beaucoup plus faibles de ses membres, les pays des BRICS+ restent encore à la traîne.
Selon le FMI, la croissance moyenne des BRICS+ sera proche de 4 % cette année, alors que le G7 atteindra à peine 1 %. D'ici 10 à 15 ans, la Chine pourrait devenir la première puissance économique mondiale, l'Inde, la troisième, et l'Indonésie, la cinquième. D'autres nouveaux partenaires comme la Malaisie, le Nigeria et la Thaïlande se hisseront parmi les 20 premières puissances.4 Le poids économique des BRICS+ devrait atteindre 50% de la richesse produite mondialement d’ici 2050 (contre 20% pour les pays du G7).
Ces prévisions indiquent que l'hégémonie économique du dollar ne devrait plus guider le développement futur du monde. L'avenir tracé par les BRICS+ vise à briser progressivement le monopole du pouvoir financier des États-Unis.
Cependant, pour créer un espace de survie économique et faire progresser la non-dépendance des BRICS au dollar, les États membres doivent agir ensemble, y compris avec les pays du Sud global.
Avec le retour de Trump, le monde se prépare à une politique américaine ultraprotectionniste. Le président élu a déjà menacé d'imposer des droits de douane de 100% sur les produits importés par les BRICS+ si les États membres en venaient à remplacer le dollar par une autre monnaie ou trouveraient une alternative au billet vert.
Si le but des BRICS+ est l'abolition de l'hégémonie des États-Unis, le moyen choisi n'est certainement pas d’éliminer le dollar en le remplaçant par une autre monnaie unique. Cela ne serait pas viable puisque toutes les transactions internationales se font en dollars et que le G7 contrôle encore les principales institutions financières (Banque mondiale et FMI). Par ailleurs, instaurer une nouvelle monnaie unique ne ferait que déplacer le problème vers le pays pourvoyeur que tous savent être la Chine.
L'approche du groupe BRICS+ est plutôt de réduire progressivement la dépendance des États membres à l'égard du dollar. Pour actualiser ce changement, les BRICS+ développent un système de paiements transfrontaliers à l'abri des sanctions. La création de la NDB favorise une augmentation notable des échanges entre les pays des BRICS+ en monnaies locales et réduit considérablement les pertes liées aux frais de change et aux fluctuations monétaires.
L'Inde montre l'exemple en essayant de promouvoir le commerce avec les pays voisins dans sa monnaie locale5, et la Chine en développant des accords économiques coopératifs, étape par étape.
Par ces biais, une pression sur la Banque mondiale, le FMI et l'OMC s'opère graduellement de l'intérieur par la modification de l'équilibre économique et politique global au sein du groupe BRICS+. Les organes financiers internationaux seront dès lors plus enclins à inclure les États membres des BRICS+ à leurs programmes.
Ce n'est donc pas un bouleversement radical de l'architecture financière que les BRICS+ visent, mais un changement lent et profond qui s’imprègne petit à petit dans le tissu financier déjà existant, un mouvement en faveur de la dé-dollarisation.6
Toutefois, la valorisation des échanges en monnaies nationales dans le commerce entre de nombreux pays membres ou non des BRICS+ constitue une situation totalement inédite que les États-Unis sont incapables de freiner malgré toutes les pressions qu'ils exercent.
Pour enrayer la récession qui menace les États-Unis, le président élu est prêt à proposer un deal à la Chine, du style : « OK pour négocier des accommodements pour vos importations à condition que vous achetiez pour x centaines de milliards de produits américains. »7 Dans l'état actuel du monde, on voit mal la Chine accepter pareil marchandage.
Sources :
1 https://www.cetri.be/Les-BRICS-vers-un-autre-monde
2 https://socialistchina.org/2024/12/02/understanding-the-role-of-brics-in-global-progress/
3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle_banque_de_d%C3%A9veloppement
4 https://socialistchina.org/2024/12/02/understanding-the-role-of-brics-in-global-progress/
5 « Brics : L'Inde freine l'adoption d'une monnaie commune, les États-Unis mettent en garde » :https://www.youtube.com/watch?v=PuYmX3Apke4
6 https://socialistchina.org/2024/12/02/understanding-the-role-of-brics-in-global-progress/
7 André Chieng face à Pascal Boniface, "Comment la Chine voit le monde" : https://www.youtube.com/watch?v=IDajwzqxOyU&t=45s
A lire aussi les autres parties de cet article :
Les nouvelles Routes de la Soie et les BRICS+ :
Partie 1 : L'Initiative Ceinture et Route (ICR)
Partie 2 : La Chine, porte-parole des BRICS+
Partie 3 : Les BRICS+, moteur de la croissance mondiale
Partie 4 : Des choix sociaux pour le G77+Chine et l'ONU
Partie 5 : Réactions sinophobes de l'Occident
Partie 6 : Pour sauver la planète, il faut d'abord sauver les gens
L'article complet au format PDF : Les nouvelles Routes de la Soie et les BRICS.pdf